Lettre à Pokhara

Chère Pokhara,

Quand nous étions sur la fin de nos péripéties indiennes, tu nous apparaissais comme un fantasme, tel cet oasis de quiétude au milieu de cette agression constante des cinq sens, propre aux villes indiennes. Nous t’avons croisé une première fois en coup de vent, tout accaparés à l’organisation de notre premier trek. Ce n’est qu’au terme de celui-ci que nous avons eu la joie de te découvrir.

 

 

Nos premiers moments ensemble ont amplement répondu à mes attentes, où le calme et la douceur de vivre nous apparurent idylliques. Toi, Lakeside (quartier bordant le lac où arrivent attirée comme par un aimant la masse de voyageurs que nous sommes), tu nous a apporté sur un plateau tout ce que nous désirions, comme des réponses aux privations de ces journées de marche. Rues propres, peu ou pas de bruit… quelle belle idée tu as eu d’interdire cette coutume locale du klaxon. Le tout dans un décor omniprésent de néons, ma foi je dois bien te l’avouer un peu agressif.

Malheureusement Pokhara, tu ne seras jamais qu’à moi et tu te disperses au fil des venelles. Tu séduis pléthore de touristes asiatiques, et d’un coup tu te transformes, et chaque restaurant de la ville présente maintenant tempuris et autre nouilles au kimchi. Malgré ces détours vers les autres, tu sais bien prendre soin de moi, déployant d’innombrables terrasses et roof top au bord de l’eau pour assouvir ma soif de bière peu onéreuse. Tu nous offre même cette quiétude lascive du bruit de la pagaie fendant l’eau du lac, comme une bulle cachée au sein même de ta vallée enchanteresse. Et tu as soif de fête, d’atmosphère débridée, et la réappropriation commerciale de la fête religieuse indienne d’Holi au profil d’une masse occidentale avinée, ne te fais pas peur (coucou la Color Run parisienne) ! Tu semble vraiment prête à tout pour moi.
Un matin levé à l’aube, je me dirige, appareil photo à l’épaule, vers tes plus beaux charmes, le lac Phewa. Lumière douce, nature paisible et ombres longues sont au rendez vous. Avec l’absence de la cohorte de photographes, armés de leurs tromblons de la taille de mon torse et attendant le coucher du soleil pour devenir les nouveaux Ansel Adams, tu n’es enfin qu’à moi, égoïste que je suis. Je marche, mais rien ne se passe, l’appareil ne bouge pas de l’épaule.
Après un certain temps, je m’en vais précipitamment, sans même te dire pourquoi. Tu ne pourrais comprendre que je veuille voir ta sœur jumelle, Old Pokhara, cloîtrée loin de tes distractions et que tu as depuis bien longtemps dérobé à notre regard. Au fil des kilomètres, je comprends enfin pourquoi tu nous la cache : ton si bel enrobé devient au mieux constellé de nids de poules, au pire vestige d’une route, où les rares plaques de goudron restantes se perdent sous une épaisse couche de terre battue. Tes si propres hôtels font place à des constructions basses, anarchiques qui affleurent puis avalent au fil des années les collines avoisinantes. Tes boutiques si joliment décorées s’oublient au fil des échoppes de premières nécessités et des vendeurs à la sauvette occupant les carrefours.

 

 

Mais surtout je retrouve chez ta sœur le bruit, ou devrai-je dire les bruits, les odeurs et cette poussière omniprésente… ta sœur me fait penser à ce moment là aux villes indiennes qui s’éveillent avec les premières lumières. Un peu plus tard, je m’installe sur un tabouret pour boire un thé. Au lieu du thé bio des montagnes himalayennes que tu m’offres, je me retrouve avec un simple thé, dont je ne connaîtrai jamais le nom, mais qui, avec ses épices et ses généreuses cuillères de sucre, s’avère, il faut que je te le confesse, délicieux.

 

 

J’y observe les lieux, comme un mirage, une vision du passé d’un Pokhara aujourd’hui disparu. A l’intérieur, trois hommes et une femme se partagent espace et tâches. D’un côté, les hommes, bien assis, remplissent des poches plastiques de doses de lait de différentes contenances. Malgré la faible affluence à cette heure matinale, ils ont bien du mal à suivre la cadence des commandes, bien occupés par leur discussion. A l’opposé de la pièce, la femme, debout, s’agite entre ses murs : préparation des chais, service, nettoyage et comme moment de repos la préparation des légumes pour le repas du midi. C’est bien une vision, mais tristement séculaire…

Sur la terrasse, personne ne semble me voir, un homme ne décollera pas les yeux de son journal et deux papys rigolent gentiment, bien aidés par leur (premier ?) joint du matin. Ici, malgré l’interdiction, l’odeur âpre de l’herbe ne semble déranger personne.
Une fois « terminée » leur tâche, deux des hommes de l’intérieur engagent la conversation. Le premier, dans un anglais hésitant, partage sa bienveillance heureuse, ses cigarettes indiennes et les verres de chais. Le second, dans un bien meilleur anglais souhaite urgemment que je monte à l’arrière de sa flambante Royal Enfield vers les montagnes pour acheter beaucoup d’herbe (sic).

     

 

A ce moment, je prends congé rapidement de la terrasse et m’avance dans des quartiers de plus en plus tortueux. Si bien que je m’y perds rapidement. J’entends encore les rires de l’homme, qui entre deux fanfaronneries devant l’objectif, me donnera les clés de cet entrelac de ruelles souvent aussi étroites que mes épaules, toi qui m’avait habitué aux vastes avenues plantées.

 

 

Ce n’est qu’en revenant vers toi, chère Pokhara, que je pus mettre des mots sur un étrange ressenti. Pokhara, ou devrai-je t’appeler Lakeside, tu es vide de ton trop plein. Ta surabondance me fait perdre tout envie ou possibilité de flânerie. Avec toi, je n’ai plus la tête en l’air, mais au fond de mon porte monnaie, jaugeant inlassablement quelles parties de toi je peux m’offrir.
Ce thé, gracieusement offert, une heure avant de revenir dans tes bras, par une charmante dame de ces sordides ruelles terreuses, n’a eu de valeur que par la relation désintéressée et amicale établie sur cette terrasses jouxtant la rue. Ainsi que par la recherche, bien hasardeuse, qui l’a précédée. Fructueuse ou non, (les yeux grands ouverts, elle ne peut que l’être) cette recherche sépare le tourisme (toi) du voyage. Entre ce qu’il faut voir (toi) et ce sur quoi nos yeux tombent. Entre le beau et l’inattendu, c’est toujours le second qui marque…

 

 

Vision nostalgique d’un sud marocain, qui bien loin des cités impériales et de leurs grandioses couronnes de montagnes n’ont jamais pu rivaliser dans mon cœur avec ce sud, si dépourvu de lieux à faire, mais où une atmosphère allègre et un accueil si chaleureux ont suivi chacun de mes pas.
Ces choses là, tu as dû les oublier, perdue dans ce frénétisme ambiant. Et si tu fouillais dans tes souvenirs, avant de les retrouver, il faudra bien brasser tes anciennes couches de poussière que ta sœur porte encore comme habits. Alors, je te le dis sans détour, Pokhara, au premier regard tu m’as plu, mais je dois partir, quittons nous bons amis !

 

 

Alexis B.

PS : et au moment où je t’écris cela, tu fais tomber la grêle sur ma tête.

3 thoughts on “Lettre à Pokhara

  1. Alex,
    Nous savions depuis longtemps déjà que tu n’étais plus l’adolescent rebelle qui pestait après nos séjours annuels en montagne avec rando quotidienne à la journée et que cet “apprentissage” t’avait forgé un caractère de trekker avisé et expérimenté.
    Mais ce voyage au long cours dévoile …. eh oui, je l’avoue …. des éléments de ta personnalité que je n’avais pas réellement perçus … ta lettre à Pokhara en est une belle illustration.
    Merci pour ce très beau moment …..

  2. Superbe ode au Voyage et magnifiques photos.

    Quelle chance de vivre ces moments magiques, uniques, et de parvenir à les partager tel que tu le fais.

    Profitez en bien, en espérant que la suite de votre voyage multipliera ces émotions et sensations inestimables, qui ne sont pas non plus sans me rappeler quelques moments partagés au détour d’une piste de laterite ou sous la fraîcheur d’un manguier.

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