Derniers pas dans le sable

La tête encore bien embrumée par une nuit trop courte, nous assistons sans trop participer à la ruée sur le bateau. A nous, bons derniers sur le navire, sont réservés les places de choix : un siège pour quatre et quelques bouts de sol, toujours accolés aux rugissements des trois moteurs de zodiac équipant le bateau. On ne s’entend pas, s’installer confortablement est impossible, l’air remplit d’essence est irrespirable, nos voisins de galère sont plus ou moins sympathiques… que du bonheur ! Jusqu’à l’instant où cette odeur d’essence fait tilt dans mon cerveau et me renvoie instantanément ces “effluves” de poulet bouilli vietnamien, puis broyé et servi, avec une sauce nuoc-mâm particulièrement relevée. De cet instant à notre arrivée à Koh Lipe, tout ne sera que calvaire. Après trois heures de traversée, nous y sommes.

 

 

Sur place, Tifaine et Tanguy ayant complétement craqué, nous nous retrouvons tous ensemble dans un petit bungalow. La crique privée sublime, l’eau turquoise et le chat qui fait des bisous en prime. L’île est divisée en deux, avec une majeure partie est urbanisée et l’ouest sauvage. Allons voir les rares criques, les vingt minutes de marche devraient nous offrir un semblant de calme et de tranquillité. Sur la première crique, une dizaine de personnes. A la seconde, deux frères allongés dans le sable profitent de l’ombre bienveillante d’une branche. Bien vite nous sommes seuls. La plage est belle, rocheuse, émaillée de déchets plastiques. Triste constat, se rêver Robinson Crusoé quand les plages vierges de toute création humaine ne semble plus exister dans ce coin du monde. A choisir sur sa plage, le commerce ou les déchets du dit commerce ? De l’autre côté de l’anse, on aperçoit la plage de notre arrivée qui nous nargue de sa blancheur. On retourne sur nos pas et découvrons enfin la baie qui semble faite de farine. Sèche sur le sable, grumeleuse une fois les pieds dans l’eau. Cristalline, cela va de soi !

 

 

Ces trois heures de bateau ont changé notre monde. Comme un petit côté “m’as tu vu ? ” qui ne nous ravit pas complétement… Sur les plages, compétition permanente du maillot de bain le moins couvrant. Mention spéciale pour le string ficelle associé à un Eastpak porté mi-fesses. De dos, c’est grandiose ! Le prix à payer pour fouler ce merveilleux sable ? Peut être, mais tant que ça vaut le coup… Deux journées plus tard, nos compagnons doivent nous quitter. On a beau être tristes pour eux, c’est surtout la panique personnelle qui nous gagne, la fin est là… A mi-parcours, nous imaginions le moment où il ne nous resterait que trois petits mois. Début Novembre, nous pensions à la période des fêtes et cet ultime mois de voyage. Nous avions toujours un moyen de dédramatiser. Maintenant, plus rien, on compte en jours. Horrible ! Mais l’urgence du temps n’est pas celle du mouvement, nous avons des plages paradisiaques à portée de main, autant en profiter quelques jours supplémentaires. Langueur volontaire, étirer les journées plutôt que les vivre à cent à l’heure. La baignade du réveil, la cantine thaï, les multiples baignades, la bière face au coucher de soleil, les petits rituels qui font ces lentes journées. Comme cet  homme qui, chaque jour, nous émerveille un peu plus. Vieux beau, les cheveux blancs coiffés en arrière et la peau tannée, couleur cancer, par le soleil. Le seul hamac de la plage, c’est le sien. Et le lieu dans son ensemble également. Inlassablement, il récupère des rochers à marée basse pour constituer une sorte de cairn maritime. Le tout dans un petit maillot de bain transformable, parfois culotte moulante, parfois string ficelle. Et entrecoupés de coups de peigne en direction de ses poils du dos.

Le soir nous atterrissons par deux fois dans un petit bar à l’écart du centre ville. Surprise, on est les plus jeunes du lieu. Première fois du voyage que cela nous arrive… Le cadre est magnifique mais c’est l’un des barmaids qui nous captive. Baratineur infatigable, séducteur lourdingue, qualifiant d’un “wahoo” chaque arrivée féminine seule… une perle quand il s’agit de se moquer. Cela semble marcher, mais que cela paraît épuisant à faire.

 

 

Aucune envie de faire un ultime trajet marathon pour retrouver Bangkok, nous choisissons de revenir sur nos pas. Cette année de voyage nous a appris l’existence des temps faibles. Et surtout que les endroits où l’on se sent bien peuvent être difficile à trouver. Hors de question de pousser jusqu’au nord lointain, nos ultimes journées seront au bord de l’eau. Choix évident pour nous deux, retrouvons notre baie de Koh Lanta. En retournant sur nos pas, nous espérons récupérer le téléphone de Tanguy. Aux dernières informations, le téléphone est toujours pris en otage et ne sera libéré qu’en l’échange d’une centaine d’euros…

 

 

Ces journées sont bien évidemment étranges, cernées par la mélancolie du chemin parcouru et l’envie de rallonger le temps à tout prix. Prenons chaque journée comme elle vient, la journée fatidique viendra bien assez tôt, celle du dernier coucher de soleil. De l’adieu au calme et à la langueur… et à cet état d’esprit unique qui nous habite après cette longue période sur les chemins de l’Asie. Espérons que nous conserverons ce calme intérieur aussi longtemps que les souvenirs qui viennent avec.

 

 

Texte : Alexis B. / Photos couleurs : Laura B.

4 thoughts on “Derniers pas dans le sable

  1. Ne vous en faites pas trop à l’avance vous verrez qu’avec 30°C de moins au thermomètre votre vitesse de croisière va naturellement croître.
    Par contre n’oubliez pas de mettre de grosses chaussettes avant de rentrer dans l’avion !
    Bien sûr vos récits d’aventure vont beaucoup nous manquer mais on est content de vous revoir et partager ensemble de savoureux petits plats bien de chez nous … alors à très bientôt et couvrez vous bien !!!

  2. Bien que le goût de la fin soit amère, vous avez le luxe de ressentir ce que peu vivent.
    Et puis, ce sera bien vous verrez, n’ayez crainte…
    Poutoux

  3. Bonsoir Alex et Laura,
    Je viens à nouveau de vous lire et je tenais à vous remercier de nous avoir fait partager virtuellement votre magnifique et sublime voyage! J’espère que la réadaptation ne sera pas trop éprouvante, ce ne sera qu ‘une courte épreuve à passer avec tant de souvenirs inoubliables…Bon voyage retour et gros bisous de nous deux.

  4. Finalement, ces 11 mois de “voyage-aventure” sont passés bien plus rapidement que je ne l’avais imaginé avant votre départ.
    Un grand merci pour avoir, avec assiduité et qualité, tenu votre blog qui, en plus de nous avoir permis de voyager à vos côtés …. et de rêver … , nous a très vite rassuré sur votre “maîtrise” pour mener à bien ce projet.
    Que la “bonne étoile” qui a guidé vos pas sur tous ces chemins, vous accompagne encore pour vous réinsérer dans cette société française toujours plus râleuse, intolérante, violente ….. aux antipodes de ce que vous êtes allés chercher et avez trouvé: ” le calme et la langueur”.
    Bon retour ….

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