Orchha : vaches, chiens, calme et volupté

Attendant le bus à Kota une personne bien attentionnée vient nous voir pour nous signaler la présence du bus en retrait des « quais » habituels, attention fort louable pour les 2 seuls touristes de la gare. D’aspect extérieur fort antique, ces équipements antérieurs nous interpellent vite : prise électrique et, à défaut d’air conditionné central, un ventilateur de bureau est présent pour chaque rangée de sièges. On s’installe sagement à nos places prévues, 6 heures de trajet nous attendent.
Après une pause rapide à mi-distance (sempiternels chai et petits beignets de pomme de terres et petit pois, eux aussi encore une fois frits), et voyant le bus fort vide, nous changeons d’installations et profitons de la dernière rangée vide pour s’allonger un peu.

L’autoroute indienne devient de plus en plus mauvaise au fil des minutes et sur un nid de poule, je décolle prestement et me retrouve le cul par terre entre deux rangées de sièges… mon réflexe a été le bon, le bras en l’air pendant le saut, le Leica n’a rien… Aux abords de Jhansi, nous apercevons plusieurs attroupements sur la route : sono à fond, lampions et autre chars bien kitchs, danseurs sur la route principale de la ville. Mariage ou fête, nous n’en saurons rien, mais c’est un comité d’accueil fort inattendu et plaisant.
Arrivée à la gare routière, nous lançons les négociations avec les chauffeurs de tuk tuk pour atteindre Orchha, située à une vingtaine de kilomètres. Après quelques minutes, nous parvenons à un accord avec un chauffeur et nous embarquons avec nos gros sacs, accompagnés d’un ami du chauffeur qui semble être là uniquement pour discuter avec son ami.

Arrivés à Orchha, les choses se corsent, notre chauffeur semble ne pas connaître notre hôtel, et la carte que je lui montre ne l’inspire pas plus. Nous atterrissons bizarrement à un autre hôtel que le chauffeur semble bien connaître… ah, les joies du backchih ! Marre de se faire avoir, je craque, on paie le prix convenu, et sautons du tuk tuk pour atteindre notre hôtel à pieds. Sur la route, plusieurs chiens nous suivent, l’un d’eux se montrent fort agressif et nous aboie dessus pendant un temps qui a cette heure avancée de la nuit dans une rue déserte peut sembler bien long. Laura craque à son tour, mais bien autrement, et la vision d’une vache courant après un homme est le coup de grâce. Impossible d’avancer plus. D’autant plus que notre chemin doit emprunter l’esplanade attenante à un temple, où sans voitures, les chiens s’en donnent à coeur joie et reprennent leurs combats entr’aperçus à Bundi. Le moindre pas supplémentaire est impossible. Heureusement, un hôtelier vient à notre secours et nous accompagne à pied le temps que le patron de la guesthouse vienne nous chercher en moto. Laura monte rapidement sur la moto et je finis le trajet en marchant en discutant avec notre homme providentiel. Celui-ci, patron d’un autre hôtel ne semble pas déranger par son statut de concurrent. Après de longs remerciements, nous atteignons enfin notre chambre sur les coups de minuit et pouvons profiter de quelques heures de repos.

7h, le lendemain matin, nous montons sur le toit de la guesthouse pour profiter de la vue sur le fort et ces multiples palais, joyaux de la ville, ainsi que les nombreux cénopathes ponctuant la compagne. Pour le moment nous ignorons complètement le sens et l’utilité de ces cénopathes, mais leur présence dans le paysage est un immense atout.

Malheureusement, notre envie de faire une « grasse matinée » nous a fait raté le lever du soleil, on se décide donc à profiter de la fraîcheur matinale pour visiter le fort. Arrivés sur place, l’immense porte est ouverte mais personne n’est ici pour nous faire payer nos entrées. En touristes disciplinés, nous attendons sa venue en contemplant les jeux de quelques singes à quelques mètres de nous, sous un froid assez inattendu dans notre imaginaire indien.
Le préposé au guichet arrive et nous pouvons enfin entrer dans le raja Mahal. Presque seuls, un groupe de touristes indien arrive quelques minutes après nous, la beauté du lieu nous enivre, et nous y passons plusieurs heures, flânant et photographiant, profitant de la lumière matinale.

Palais somptueux, comptant plusieurs centaines de chambres, la moitié dévolue à la garnison militaire, celui-ci n’a été utilisé qu’une seule fois par l’empereur Moghol pour lequel il a été construit… Quelques fragments de peintures sont encore présents, mariant à merveille vert hindou et ce bleu sublime, si cher à la perse musulmane. Notre imagination va bon train pour imaginer l’absolue beauté de ce lieu à l’époque.

Visite éclaire du reste du fort, un couple de vache m’ayant « chargé », selon les termes de Laura, nous allons ensuite prendre notre premier chai quotidien ainsi que des boulettes de pommes de terre frites accompagnées de pois chiches, tomates et piments. Afin de vivre l’authentique, nous demandons bien sûr la dose de piments réglementaire ici. Cela ne nous effraie pas, nous pouvons remercier nos virées dans le quartier de La Chapelle comme entraînement.

Après une sieste bien méritée, je pars seul, Laura étant toujours craintive de la faune locale, pour une balade urbaine.
La pluie me surprend et je me réfugie sous une bâche où chai et nourriture frite (encore…) sont en abondance. Après quelques photos prises à la volée, je demande l’autorisation de photographier quelques personnes présentes dans ce lieu. La plupart accepte, mais les brahmanes (la plus haute caste indienne) me le refusent, puis me font ce signe universel des doigts pour signifier la nécessité de payer. Le mysticisme hindou en prend un coup, j’ignorais que Thomas Jefferson ou Georges Washington figuraient dans la litanie des divinités indiennes. Les jours suivants appuyant cet état de fait.

Puis visite d’un temple et des cénopathes bordant le village, mauselées en l’honneur des maharadjas locaux. Immenses et fortement détaillés, ces temples me font relativiser la mégalomanie que j’avais ressenti au cimetière de la recoleta de Buenos Aires quelques années auparavant.
En chemin, je tombe sur un restaurant bien éloigné des circuits touristiques qui semble parfait pour le repas du soir. Après un retour à l’hôtel, nous retournons en ce lieu. Hormis l’absence de bière, prévisible ici, le repas est délicieux, fort pimenté, et le thali (riz, chapatis, dhal et différentes sorte de curry indiens, le tout servi à volonté) nous fait découvrir de nombreux plats que nous n’aurions pas eu la curiosité de goûter autrement. Le curry de chou fleur et pommes de terre du lendemain nous le confirmant aisément.

Le lendemain, réveil plus matinal pour enfin voir le lever de soleil sublime sur le fort. S’ensuit une ballade sur une île, sanctuarisée comme parc naturel. Hormis les innombrables singes et quelques vaches (agressives selon les termes de Laura), nous ne croiserons qu’un seul paon, à distance certaine. Nous profitons néanmoins de la quiétude du lieu et nous nous octroyons une pause lecture sur des rochers au milieu du fleuve.

Retour tranquille, hormis une arnaque pour laquelle notre naïveté fût confondante, nous retournons à notre petit restaurant fétiche pour un autre thali.

Ce matin, départ plus tardif, 8h30, pour aller voir la campagne environnante. Après une pause dans un temple, consacré à Laxmi, déesse de l’abondance et de la prospérité où de nombreux dessins nous ont fait rire, nous quittons enfin la ville. Après un chai rapide comme petit déjeuner, et une petite tentative d’arnaque sur les prix, nous découvrons la campagne indienne, ces haies de bois morts et ces champs de blés à perte de vue… c’est qu’il en faut du blé pour préparer les chapatis quotidiens !

Après plusieurs hésitations, nous bifurquons sur un sentier terreux. Nous suivons alors une bergère avec son troupeau de chèvres, peu disciplinées et passant leurs temps à grimper aux arbres pour trouver la maigre nourriture présente en ces lieux.

Au bout d’un temps certains, nous rebroussons chemin et retournons, sous un cagnard éreintant vers la ville pour un petit repas bien mérité. Samossas délicieux et chai réconfortant ne sont rien en comparaison de la gentillesse de la gérante, ainsi que de sa soeur et son amie.

Nous découvrons là une autre facette de l’Inde, lue quelques temps auparavant. L’amie de la gérante a le visage et les bras (et peut être le reste du corps, nous ne le saurons jamais) fort marqués par des traces de brûlures. Celles-ci ont de fortes chances d’avoir été réalisées par sa famille, suite à son refus d’un mariage arrangé. Phénomène préoccupant, plusieurs associations portent secours à ces femmes, qui sont souvent par la suite abandonnées par leurs familles après ce sévisse.

Ce soir c’est notre dernière soirée à Orchha, demain départ pour Agra et ses merveilles. Nous retrouverons alors le bruit, les tentations et réclames autochtones. N’ayant pas réservé de trains assez à l’avance, nous prévoyons de le prendre en classe populaire, ce qui s’annonce une aventure en tant que tel. Mais avant cela, retour à notre petit stand du midi pour partager quelques savoureux samosas et de nombreux éclats de rire malgré la barrière de la langue.

Alexis B.

8 thoughts on “Orchha : vaches, chiens, calme et volupté

  1. On vit vraiment ce voyage avec vous ! Merci merci et on déjà hâte de lire le prochain article et de découvrir les photos d’Agra …

  2. Quelle aventure que cette arrivée et la recherche de l’hébergement à Orchha !
    Malgré une démographie toujours forte , l’Inde aurait donc changé puisque, selon les lieux, les “très pauvres” ne dormiraient plus dans la rue ? … abandonnée la nuit aux chiens errants ….. !
    Au vu de cette expérience, finalement le bon plan devrait être de voyager la nuit …. l’arrivée au petit matin devrait être moins “angoissante” … c’est ce que je vous souhaite pour Hardiwar et sans doute pour d’autres liaisons au fil de votre voyage.

    1. En effet, tu as raison, il est préférable de voyager de nuit pour arriver tôt le matin, c’est plus sécurisant. C’est ce que nous avons fait en arrivant ce matin à Haridwar, et j’ai trouvé l’expérience bien plus confortable 🙂

  3. Ce que je viens de lire sur la relation Hommes/Chiens en Inde est plutôt inquiétant car le traitement que subissent ces animaux ne peut que les rendre agressifs.
    Cette particularité culturelle est à prendre sérieusement en considération car elle est préjudiciable à de “gentils” européens comme vous.
    La Sagesse devrait vous inciter à éviter les mauvaises postures face à ce fléau local. Cette nouvelle mésaventure aura peut-être le mérite de vous faire apprécier la véritable valeur des services rendus.
    Ne dit on pas que la Force est de savoir perdre un peu pour gagner beaucoup et … que l’Argent ne fait pas le bonheur mais qu’il y contribue ?
    Bon pèlerinage et encore bravo pour la qualité de vos reportages … dommage que la vidéo 4D soit en devenir !

    1. En effet, les indiens traitent franchement mal les chiens et les vaches, ils leur jettent bien souvent des cailloux. Du coup, j’ai l’impression que la journée les chiens sont plutôt “calmes” car agressés par les hommes, et la nuit ils se battent entre eux, probablement parce que la violence quotidienne subie ne peut entrainer que la violence en toute situation. Je m’efforce de mon côté de les ignorer le plus possible !

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