Départ pour Haridwar dans un bus de nuit plutôt original. Sur deux étages, les couchettes sont en fait une cabine privée avec un matelas pour deux personnes que l’on peut fermer par une porte coulissante. C’est marrant et ma foi plutôt confortable, on peut y dormir correctement !
Nous sommes réveillés tôt, nous profitons du lever de soleil à travers notre vitre embuée. Vers 7h du matin, nous arrivons à Haridwar. Notre sac sur le dos, nous constatons la foule présente sur les ghâts à cette heure matinale. C’est impressionnant ! Il s’avère que ce lundi 4 Mars est le dernier jour d’une grande fête religieuse, qui a lieu tous les 3 ans. Sur les rives, des dizaines de marchands vendent des bidons en plastique de toutes tailles. Nous comprendrons par la suite que les pèlerins les utilisent pour récupérer l’eau du Gange et la ramener chez eux.
(Ici, vu du lendemain, moins de monde en perspective)
Nous nous installons dans une chambre d’hôtel très correcte. Et si comme depuis le début de notre séjour en Inde, il n’y a qu’un drap couvrant le matelas, et une simple couverture (le drap sac est notre deuxième peau), le lit est assurément très confortable.
Nous sommes dans une des rues principales, qui mène directement aux ghâts. Et aujourd’hui, fête oblige, elle est couverte de monde. Musique à fond, défilés, et autres joyeusetés sont à l’honneur. Nous sommes pris dans le flot continu. Alors qu’Alexis se fait gentiment invité dans un défilé d’enfants maquillés de noir, je reste un peu en retrait, avec la foule. Et l’esprit festif s’évapore rapidement… collés les uns aux autres, les indiens prennent un malin plaisir à ma toucher les fesses, les uns après les autres. Je ne mets pas 2 minutes à comprendre le manège, et je m’efforce de rejoindre Alexis. On s’écarte donc du défilé, stoppant la séance photo qui promettait de beaux clichés. Je suis un peu chamboulée par ces gestes déplacés.
Nous continuons notre visite le long des ghâts, un peu plus calmes bien que bondés. Le Gange est pris d’assaut par des centaines de pèlerins qui viennent s’y baigner. Accrochés à une corde pour ne pas se faire emmener par le puissant courant du fleuve, ils plongent leurs têtes plusieurs fois de suite, s’arrosent les uns les autres de cette eau bénite. Soudain, on aperçoit au loin le cadavre d’un homme nu. Sa peau devenue verte est gonflée par l’eau, une jambe manquante, il rejoint, emporté par le courant, la foule venue se recueillir. Dans l’indifférence totale. Ce n’est pas plus choquant que le cadavre de n’importe quel autre être vivant, mais vu de notre fenêtre, le spectacle me donne le vertige et je sens mes jambes devenir du coton. Tout le monde ne revient pas d’Inde avec le souvenir de son premier cadavre, même si les anecdotes de ce style vont généralement bon train.
Nous changeons de rive pour assister à la traditionnelle cérémonie du feu. Assis en tailleur au bord du Gange, nous sommes très nombreux à écouter les prières avant le coucher de soleil. A 18h, les maîtres de cérémonie allument des flambeaux. Les pèlerins déposent dans le fleuve des coupelles de fleurs illuminées d’une bougie.
Vient la tombée de la nuit, et ses gros nuages. Nous échappons à un sublime orage si l’on en croit la couleur du ciel.
Nous passerons la journée suivante à flâner dans les minuscules ruelles d’Haridwar. Comme un souk, les rues sont habitées de petites boutiques. Les marchands vendent tous la même chose et l’on se demande à combien revient leur butin quotidien. Bijoux dorés par milliers, colliers de prière, foulards, couvertures fleuries, vaisselles… on ne voit ici rien d’authentique, tout n’est que breloques que l’on imagine « made in China » malheureusement. Ce n’est donc pas en Inde que je m’offrirai cette jolie paire de boucles d’oreilles en argent ciselé des milles et une nuits !
Les bords du Gange sont occupés du matin 6h, jusqu’à la tombée de la nuit. C’est un véritable lieu de vie. Nous nous y posons, nous observons, nous nous imprégnons de la ferveur religieuse et tentons de comprendre les multiples rituels. Un homme plonge ses billets dans un seau d’eau du Gange. Espère t-il ainsi les faire fructifier ? Plusieurs autres se mettent à l’eau pour récupérer de la caillasse, dans l’espoir d’y trouver la monnaie jetée par les pèlerins. Un indien nous explique qu’outre la monnaie jetée, comme nous le faisons dans nos fontaines occidentales, les indiens déposent des roupies lorsqu’ils jettent le corps brûlé d’un de leur proche dans le Gange. C’est cette somme là que tentent de récupérer ces messieurs. Comme respect du sacré, on a vu mieux !
Les brahmanes que nous avons croisés n’auront pas notre respect non plus. A part demander de l’argent sans transition, ils ne se montrent pas aimables. Cette approche dédaigneuse est bien loin de la belle image que je m’en faisais. D’une manière générale, je suis assez surprise du contraste entre l’importance du sacré (les ghâts sont les endroits les plus propres), et le business qu’en tirent ceux qui se présentent comme fervent croyants. Peut-être les deux peuvent-ils aller de pair sans toucher au bon sens.
Les regards masculins sur moi me pèsent. Cacher mes formes par des vêtements amples et des foulards n’y changent rien. Je suis blanche. Les regards libidineux et insistants ne se cachent pas. Ici, on se pose à nos côtés pour se prendre en selfie sans même décrocher le moindre mot, un merci devient improbable. On ne cache pas non plus ces yeux qui insistent alors même qu’ils dérangent. Je comprends d’autant mieux l’expression « femme-objet ». Dans cette ville, plus que partout ailleurs, je ressens la négation de la femme. On parle à Alexis, on lui sert la main, et bien souvent on m’ignore. Au restaurant, on propose à Alexis de resservir son thalis, pas moi. Je n’existe pas, sauf quand il est question de se rincer l’oeil. C’est loin d’être confortable.
Je note des points positifs toutefois à Haridwar. La ville est plus propre que les précédentes, certainement parce qu’il y a moins de chiens errants et très peu de vaches dans les rues. L’ambiance générale y est agréable. J’ai trempé mes pieds dans l’eau du Gange sur des ghâts intimistes, en présence de singes mangeurs de bananes et autres offrandes.
L’eau y est très froide et je salue le courage et la beauté de la croyance religieuse pour s’y baigner complètement, parfois même à la tombée de la nuit ou au petit matin avant le lever du soleil.
L’Inde est pour moi un ascenseur émotionnel constant. Entre le choc, la brutalité, l’inconfort, le dégoût, et puis le sublime, la sagesse, l’atmosphère indicible, la joie des passants sur notre passage. Il me faudra du temps pour l’apprécier, le digérer. Nous en resterons là car l’Inde a eu raison de nous. Demain soir, nous partons pour une autre aventure, mon grand rêve : fouler de mes pieds les plus hautes montagnes et voir les plus hauts sommets au Népal. Après un long voyage pour y parvenir, j’imagine déjà la bouffée d’oxygène !
Laura B.
J’ai beaucoup apprécié les photos et les récits de ce pays riche en bonnes et mauvaises surprises… Pays que je ne connais pas et où nous n’ irons sans doute jamais. Bisous à tous les deux
Merci pour ton message 🙂 nous avons hâte d’aller au Népal ! Gros bisous
Laura, ton récit nous fait bien prendre conscience des difficultés à parcourir l’Inde en tant que voyageurs individuels.
D’ailleurs, on se doutait un peu que cela ne serait pas simple car les médias, bien souvent, font état de comportements abjects et révoltants d’homme(s) à l’encontre de femme (s).
Peut-être, qu’ après votre expérience comparée des visites d’Udaiphur et Bundi d’une part et d’Orchha d’autre part, auriez-vous pu orienter votre circuit sur des contrées plus rurales ?….. ce doit aussi être cela l’Inde.
Mais je comprends aussi que l’appel des cimes … et des sentiers …. du Népal soit impérieux ….😅
En vous souhaitant que l’obtention des visas soit simple …..
Bonne découverte du Népal … et super treks!!!
En effet, je note une bouffée d’oxygène à peine arrivée à Pokhara. Moins de bruits, de regards, de saletés, c’est une sorte de paradis pour touristes, pas très authentique mais assurément réconfortant !
Vraiment Laura ton récit est palpitant, ceux d’Alexandra David Neel paraîtraient presque fades à côté ! Il entre évidemment en résonance avec ce que nous avons vécu à Haridwar, la foule compacte, le Gange sacré, les cérémonies religieuses incroyables, les escrocs… mais mon âge respectable m’a épargné les pelotages et les regards libineux !!! je crois qu’il faudra que tu retournes en Inde du nord après tes 60 ans, tu verras, on te fichera la paix !
le Népal avec sa nature époustouflante va sans doute vous reposer en même temps que vous bouleverser, on vous souhaite de belles émotions et on attendra les photos et vos commentaires avec grand intérêt.
Bises à tous les deux. Monique et Jacques
Merci beaucoup Monique pour ce beau compliment ! L’Inde a vraiment deux facettes parfois antinomiques qu’il est important de décrire pour comprendre le pays 😊 je ne sais pas si j’aurai envie d’y retourner avec le temps, qui vivra verra !
Loin d’être de tout repos cette excursion de “Laura chez les In-durs” !!!
Le voyage “à la carte”, sans programme ni chrono, est un luxe non sans risque … On papillonne au gré de ses humeurs, le parcourt est chaotique, l’insupportable fait son apparition et on néglige le temps d’adaptation nécessaire.
Pour rester dans leur zone de confort certains (les moins téméraires) font appel aux agences de voyage qui proposent à la “sensibilité” de chacun, frissons et évasions sécurisés.
Vous n’aviez pas choisi de vaincre sans péril alors après cette pénible expérience tu peux toujours te dire que plus FORTE, au retour tu seras …
En effet, j’apprécie déjà le calme et le confort de ce que qu’on pourrait tout à fait appeler une station balnéaire, Pokhara est une bouffée d’oxygène (pas très authentique du coup), surtout après un si long voyage pour passer de l’Inde au Népal 😅 j’en parlerai dans un prochain article car le voyage fut plutôt chaotique !
Un mois en Inde, c’est pas si mal comme score 😄 surtout pour une femme !
La présence d’Alexis n’est évidemment pas suffisante pour freiner des mâles dont la frustration est flagrante. Vous avez d’ailleurs sûrement noté que les hommes sont très proches entre eux… Tellement les femmes leur sont inaccessibles.
L’Inde, le monde des paradoxes… Une benne à ordures avec quelques joyaux dedans.
Maintenant que vous avez affronté l’environnement le plus hostile, tout le reste vous sera douceur et miel.
(Sauf, peut être, les arnaques qui jalonnent le parcours de tout backpacker…)
Poutoux