13 Avril, Ringmo (2720 mètres)
Froid et humidité dans la salle commune, nous sommes encore bas et l’allumage du poêle bien tardif. Bien aidés par nos curiosités personnelles, nous combattons cette fraîcheur en goûtant la gnôle locale, issue des pommiers de la vallée. Incolore, plutôt doux, c’est ma foi fort agréable ! Et servi à satiété dans un pichet plastique… Celui là même que nous retrouvons chaque jour dans ces hébergements montagnards afin de transvaser l’eau depuis un robinet, nécessairement fuyant, vers les toilettes à la turque !
Ici la notion d’eau courante est tout autre. Dans ces villages de basses altitudes, les petites rivières ne manquent pas. Au fil des sentiers, ce sont des tubes de plastiques ou bien de fines et longues planches de bois qui transforment de minuscules cours d’eau en agréable fontaine champêtre. Aux abords des maisons, ces mêmes ruisseaux sont détournés afin d’atteindre les habitations puis retrouvent bien rapidement leurs lits. Il n’est donc pas rare de voir les robinets, intérieurs comme extérieurs et ici encore constitués de tubes en plastique, couler indéfiniment. Pour les fermer, il faudrait assécher la rivière.
Néanmoins, cela n’empêche pas certains hôteliers peu attentionnés de vouloir nous faire payer la douche. Alors que nous demandons simplement à utiliser un des robinets du jardin que nous entendons couler au moment où l’on nous annonce un prix … Ce sont les premiers jours, mais on se dit déjà qu’un peu de saleté n’est pas si dérangeant. Les semaines suivantes confirmant amplement cette idée.
16 Avril, Bupsa (2360 mètres)
Que la journée fût longue ! Le tout après une exhaustive dégustation des boissons locales marquée par la découverte de Tongba. Sorte de maté local, où le mélange de plantes et de bois serait remplacé par du millet fermenté. Pour le reste, le principe est le même : on boit à travers une paille filtrante et nous reversons fréquemment de l’eau bouillante sur ce mélange. Seule différence, la calebasse fait ici place à notre fidèle pichet en plastique. Petite ressemblance avec la bernache tourangelle, en franchement meilleur.
Départ 7 heures, le ventre vide, une pause est prévue une heure plus tard dans une gargote découverte hier au cours de notre jour de repos. Simple maison dépourvue d’écriteau, ce sont les muletiers croisés la veille au petit matin, et déjà affairés à écluser quelques verres de Chang, qui avaient attiré mon attention. Et comme hier, le thé est délicieux, fort et sucré. Il n’y a pas de menu ici, adieu la liste infinie des thés disponibles. Mais quel plaisir de voir que pour chaque thé noir commandé, la patronne quitte la pièce en direction de son jardin et revient rapidement, une petite feuille de menthe fraîche à la main. Ces endroits sont l’essence du voyage ! Et comme de bien entendu, le prix de ces verres sera le plus dérisoire de l’ensemble du trek.
Nous poursuivons notre descente une heure encore et nous y voilà enfin, sur les rives du Dudh Kosi, fleuve prenant sa source dans les lacs du Gokyo. Signifiant rivière de lait en Sherpa, sa blancheur fait honneur à son nom. Sentiment de joie assez forte, “enfin nous y voilà” résonne dans ma tête. Suivi bien rapidement par l’abattement : après 3 cols et déjà bientôt 8000 mètres de dénivelés, nous nous retrouvons à 1500 mètres d’altitude. Soit 300 mètres de moins qu’à notre départ. Et plus de 3500 mètres avant sa source.
Pour changer c’est un nouveau col, 1500 mètres plus haut qui nous attend. Dès le début la marche est rude, le soleil est encore chaud à cette altitude. Bientôt, ce seront les marches irrégulières (parfois bien hautes pour les jambes de Laura) qui éprouveront nos corps. Les femmes de cette vallée ornent leurs nez de bijoux-piercings, c’est surprenant mais plutôt beau. Ici l’appareil ne fait pas peur, contrairement aux premiers jours, et j’en profite pour tirer quelques portraits. J’apprendrai à mes dépends que ce seront mes derniers. Dans les terres hautes, peuplées par l’ethnie Sherpa, l’appareil doit se faire absent. Et mes demandes de portraits toujours refusées. Mais systématiquement avec le sourire, que cela fait plaisir.
Deux heures trente plus tard, nous atteignons enfin Khari Khola, après une longe hésitation sur le chemin que nous avions choisi. Hésitation forcément résolue par la gentillesse d’une dame qui interrompra sa récolte du bois mort pour nous aider. Laura comme moi, sommes ébahis par l’immensité du village. Il nous faudra bien plus de 20 minutes pour le traverser. On s’arrête au hasard dans une des trop nombreuses guest houses, sur la rue principale. Ici, il y a bien “des” rues, et cela fait plus d’une semaine que nous n’avions pas vu ça. L’opulence du village est manifeste. Celui-ci ne semble pas tellement avoir souffert de la construction de l’aéroport de Lukla, détournant les randonneurs de ce point de passage autrefois quasi obligé.
Le début d’après midi nous permettra de comprendre la richesse de la vallée. Chaque minute ou presque, nous croisons ou nous faisons dépasser par une caravane de mules, transportant vivres et matériaux de constructions. Les randonneurs sont partis, la route commerciale vers les hautes vallées demeure. Le dos de certaines bêtes est, quand dépourvu de charge, effrayant à voir. Mais que savons-nous des dos de ces porteurs qui ne peuvent plus parcourir ces sentiers…
Arrêts forcés, terrain difficile… que le rythme est haché et qu’il est difficile de conserver son moral ! Enfin, au détour d’un virage, nous retrouvons le chemin de crête, cela sera notre dernier vallon du jour. Le chemin est encore long, mais pouvoir le visualiser, lui, ainsi que notre but, regonfle le moral. Une heure plus tard, nous délestons enfin nos épaules de leurs charges et profitons cette fois-ci d’une bonne douche. Ici aussi froide et payante !
Alexis B.
On s’y croirait !