Fin Août, un vendredi soir à 21h, nous quittons Paris par le train de nuit. Le lendemain matin, la gare de Montdauphin-Guillestre nous ouvre la porte du parc national du Queyras dans les Alpes.
Le train couchette seconde classe en temps de Covid permet de ne pas avoir le nez dans la banquette du dessus. Moins de personnes par cabine, c’est un confort indéniable pour une nuit cependant courte. Le stress du début d’un long trek de deux semaines, en itinérance, de refuge en refuge, de paysages grandioses en patous agressifs, de dénivelés quotidiens épuisants en excellents repas copieux des fins de journée. Tout y est, pour l’instant seulement dans la tête. Il est 6h du matin, et les premiers arrêts s’enchaînent. La timide lumière du soleil vient chatouiller les premiers sommets, et la perspective d’arriver en montagne donne le sourire aux lèvres.
Presque 8h, nous descendons du train et attendons la navette prévue pour accueillir les randonneurs et les conduire à la porte d’entrée du parc du Queyras, Ceillac. Trois quarts d’heure plus tard de routes sinueuses et de virages en tête d’épingles pour atteindre les 1600 mètres d’altitude, nous descendons place de la Mairie, point de départ de notre trek.
Jour 1 – De Ceillac (1639m) à Bramousse (1430m)
Si nous n’avons pas de programme bien défini sur le chemin à parcourir, Covid 19 oblige, nous avons réservé les quatre premiers refuges. A l’inverse des autres randonneurs, nous décidons de faire le GR58 dans le sens des aiguilles d’une montre. Ceci nous permet de faire une première petite journée de quatre heures (et non de six heures) de marche pour atteindre Bramousse. La nuit ayant été bien courte et les jambes froides, nous commençons notre trek avec peu d’énergie. La première côte est rude, mais très vite, je retrouve mon rythme de croisière adopté au Népal. Marche lente mais assurée. Le paysage est verdoyant et les hautes montagnes dessinent un arrière-plan lointain.
Le temps est au beau fixe et il fait chaud. Même si le rythme est régulier, la fatigue arrive assez vite et je suis soulagée que n’ayons que quatre heures de marche pour cette première journée. Nous croisons quelques randonneurs, mais en cette fin de saison, il n’y a pas foule. Après avoir perdu vingt petites minutes à suivre le mauvais chemin, nous apercevons en contre-bas le minuscule village de Bramousse. Il n’y a qu’un seul gîte, on ne peut pas se tromper. Nous arrivons vers 14h, en pleine pause repas dans le joli jardin du refuge. Nous ne rêvions que d’une chose : poser nos affaires dans le dortoir, prendre une douche, mettre des tongs, et se poser dans le jardin autour d’une bière et d’un bon repas. Mais les responsables semblent surchargés et nous attendons longtemps avant de pouvoir poser nos affaires.
Enfin, nous y voilà ! Au soleil, les pieds dans l’herbe, une bière locale à la main. Nous profiterons du jardin jusqu’à l’heure du dîner. Sur une grande table, nous partageons notre repas (et notre dortoir) avec une femme et un jeune homme, deux trailers qui se sont rencontrés pendant leur trek. Le GR58 est un but en soi, mais pas seulement pour le plaisir et la beauté du paysage. La performance sportive compte désormais davantage et dans la salle à manger est arboré fièrement les exploits du fils de la maison qui a fait le tour du Queyras en vingt-sept heures et des poussières (quand des randonneurs normaux le parcourt en huit jours). De notre côté, en ajoutant quelques variantes encore inconnues, nous avons deux semaines pour en profiter.
Jour 2 – De Bramousse à Furfande ( 2293m)
Il est tôt, la matinée est fraîche et ombragée. Après notre petit-déjeuner nous dévalons une première descente dans les arbres. Sur le chemin, nous sommes rapidement dépassés par un couple d’italiens, originaires de Turin.
La nuit dernière, nous mangions à la même table et dormions dans le même refuge à Bramousse. Les quelques mots d’italien appris par-ci par-là ne me suffisent pas à enchaîner la conversation, mais les sourires échangés la soirée précédente témoignent de leur amabilité. Et Monsieur parle bien français, lui. Si nous ne faisons pas exactement le même chemin aujourd’hui, nous aurons l’occasion de nous recroiser les jours suivants.
Après notre descente vient l’inévitable montée. Bientôt nous dépassons les arbres et ce chemin en balcon nous offre une belle vue pour notre pause matinale. Ce soir, nous logeons 900m plus haut que la nuit précédente.
Tout le monde est unanime, le prochain refuge, refait à neuf il y a peu, est très agréable, mais c’est surtout sa vue qui est imprenable et vaut le détour. Comme presque chaque jour, nous refusons le pic-nic proposé par le refuge pour le lendemain midi. Nous préférons partir tôt le matin, rassasiés, pour tenir jusqu’à notre arrivée au prochain refuge. Cela nous permet de choisir plats et desserts, le soir étant un repas imposé à chaque fois.
Nous arrivons fatigués vers 14h, sous un soleil de plomb. Et le cadre est en effet fabuleux. Un grand spectacle 360°C à ciel ouvert. Des magnifiques chaînes de montagnes éloignées nous font face, tandis qu’à la droite du refuge des imposantes dents nous regardent de près. Des fleurs roses ponctuent le paysage d’une note pastorale, digne du dessin animé de mon enfance, Heidi.
Attablés au soleil, nous sommes ravis de pouvoir profiter de ce cadre jusqu’au soir. Après avoir déposés nos affaires dans notre dortoir et pris une bonne douche, nous redescendons au jardin, et demandons conseils à la femme qui occupe les lieux. Car nous avons un petit doute sur notre capacité physique à affronter notre prochaine journée de marche. Ce qu’elle nous confirme, en nous conseillant néanmoins un chemin encore plus long (mais plus beau), en tentant de faire une petite partie en stop.
Prenant ses conseils en compte, nous réfléchissons et envisageons de décaler nos réservations pour faire une journée plus courte. Malheureusement, et ce sera presque tout le temps le cas, il n’y a pas de réseau et encore moins d’internet. Par miracle, je parviens à profiter d’une minute de réseau pour joindre un des refuges que nous avons réservé… qui nous confirme qu’il nous sera impossible de décaler nos dates, toutes les places ayant déjà été réservées. Il faudra donc faire une grosse journée demain et espérer trouver une âme charitable pour nous prendre en stop.
Ce soir, nous mangeons au coude à coude autour d’une grande table de huit personnes. Le repas est, comme toujours, copieux. La femme qui dormira avec nous ce soir-là nous informe que son compagnon est un ronfleur invétéré. Mes deux premières nuits ayant été bien courtes, j’espérais pouvoir me rattraper cette nuit ! Et comme si la poisse était contagieuse, le dit ronfleur fut évidemment celui qui, couché en premier, s’endormira en trente secondes, ne nous laissant aucun répit pour le devancer. Les bouchons d’oreilles ont sauvé notre nuit, et j’ai quand même pu rattraper un peu de ce sommeil en retard… avant cette grande journée qui nous attend.
Jour 3 – de Furfande à Souliers (1844m)
Le temps est toujours aussi radieux. Après notre petit-déjeuner, nous attaquons directement la montée vers le col de Furfande (2500m), à 45min à pieds environ de notre refuge.
Et puis nous redescendons de l’autre côté, pour rencontrer, je le sais d’avance, notre premier troupeau de moutons gardé par les fameux patous.
Une première rencontre des plus aimable et engageante puisque l’enclos étant loin de notre chemin, les patous se sont contentés d’aboyer à notre lointain passage… tout en restant couchés.
Nous en profitons pour faire une première pause un peu plus loin et admirons la vue. Le temps s’est couvert et nous offre un paysage sublime, rendu vivant par un jeu de lumière presque biblique sur les sommets.
Nous poursuivons notre marche pour atteindre Arvieux, espérant ainsi trouver quelqu’un pour nous prendre en stop et nous déposer un peu plus loin, à la Casse Déserte.
Plusieurs voitures passent devant nous sans s’arrêter, mais je ne désespère pas. Selon les vieux codes ayant encore la vie dure, je suis celle qui pointe mon pouce et laisse Alexis en retrait. Une femme est toujours plus accueillante qu’un homme, surtout si elle est inconnue. Un peu moins d’une heure plus tard, une voiture s’arrête. Un jeune couple et son petit chien nous invite à monter. Par chance, ils vont au même endroit que nous.
Quelques minutes plus tard, nous arrivons au parking de la Casse Déserte. L’endroit est sublime et nous sommes charmés par la découpe si aiguisée de ses montagnes qui pointent leur nez droit vers le ciel.
L’endroit est bien plus touristique car il permet en peu de temps d’atteindre un beau lac de montagne, le lac de Souliers (2492m), et d’y faire une charmante pause pic-nic. Ce que nous espérons également, car cette fois nous avons pris un panier repas pour deux, afin de grignoter un peu et couper cette longue journée.
Après une à deux heures de marche, nous atteignons le lac. Il est superbe, et je cours pour soulager mes pieds nus dans cette eau fraîche. Un soulagement pour ses orteils endoloris ! La pause repas au soleil est malgré tout un peu fraîche et nous reprenons notre marche plus tôt que prévu pour nous réchauffer.
La descente est raide, et le chemin glissant. Je n’ai pas confiance et mes minuscules pas ralentissent fortement le rythme. Je me fatigue bêtement et les conversations deviennent houleuses. Heureusement, ce passage désagréable n’est pas très long, et cela annonce aussi la fin de la journée car notre prochaine étape, Souliers, n’est plus très loin.
Vers 16h, nous arrivons au refuge. Un des meilleurs souvenirs de ce trek. La jeune femme qui nous accueille est très gentille et avenante. Elle nous conduit dans notre chaleureux dortoir où nous sommes pour l’instant seuls. Un petit balcon nous permet de faire sécher quelques affaires après la douche, grand bien nous fasse !
Sur la terrasse, nous retrouvons le couple turinois, rencontré les jours précédents. Nous nous posons tous les deux autour d’une excellente bière locale (probablement la meilleure que j’ai pu boire jusqu’ici).
Un homme de notre âge, trailer, parcourant le tour du Queyras en trois jours, partagera notre dortoir, notre apéro et notre repas ce soir-là. Les échanges vont bon train et nous passons un agréable moment en sa compagnie, ne voyant pas le temps passer. Nous mangeons divinement bien, et beaucoup ! La cuisinière est italienne et nous a concocté des lasagnes maison dont on se souviendra. Nous dégusterons ensuite une liqueur encore plus locale que le traditionnel Genépis, la liqueur de mélèze.
Couchés plus tard que d’habitude, le ventre plein, après une bonne journée de marche, nous ne mettons pas longtemps à nous endormir !
Quel plaisir de s’évader ce matin de la morosité ambiante avec la lecture du récit de votre randonnée
dans ce superbe massif.
J’attends bien sûr la suite avec “impatience” pour découvrir, en particulier, la variante en Italie …
Merci François ! C’est un plaisir également de me replonger dans notre périple en écrivant cet article … et ceux à venir, car il y a beaucoup à raconter ! 🙂