Jour 6 – du Roux (1750m) à Ciabot del Pra (1737m) par le col d’Urine (2525m)
Encore courbaturés de nos exploits de la veille, nous traînons un peu la savate au réveil. C’est une journée relativement (et volontairement) courte qui nous attend. Le temps semble s’étirer dès le petit-déjeuner, et nous ne partons qu’après 9h.
Nous quittons le petit village du Roux et redescendons au niveau de la rivière. Une fois celle-ci traversée, nous grimpons sur le versant opposé, dans une épaisse forêt de mélèzes, sapins typiques de la région. Le temps est beau et il fait agréablement frais à l’ombre des arbres. Nous poursuivons notre montée à bon rythme.
Au-delà d’une certaine altitude, les mélèzes laissent place à un paysage presque aride, avec de l’herbe rase, des rochers parsemés et quelques sapins isolés.
Les marmottes se plaisent ici plus qu’ailleurs. On les entend siffler, et les plus jeunes, moins apeurées que leurs parents, ne courent pas se cacher sur notre passage. C’est donc un défilé de dizaines de marmottes joufflues qui courent dans la plaine, provoquant un sourire d’enfant sur nos lèvres.
Bientôt les jolis nuages s’accumulent, le temps se gâte et donne au paysage une note désolée, presque mélancolique. Nous croisons trois marcheurs qui connaissent bien le versant italien que l’on s’apprête à rejoindre. Après moultes palabres sur notre choix peu stratégique d’hébergement (selon une dame peu avenante mais à la langue bien pendante), je décide d’abréger la conversation si nous voulons éviter de terminer cette journée sous le gros orage prévu pour le début de soirée. Nous les laissons ramasser leurs myrtilles et nous poursuivons notre chemin vers le col d’Urine (2525m).
Le temps ne s’arrange pas. Le vent se lève et la température redescend. Lorsque nous franchissons le col, nous sommes absorbés par la traditionnelle nebia italienne, cet épais brouillard qui tombe sur les montagnes à la fin de la journée. Nous recouvrons nos sac-à-dos de leur bâche protectrice, enfilons nos coupe-vents, et je range mon portable. Terminées les photos pour le reste de la journée !
Nous voici côté italien. Il faut maintenant redescendre dans une pente abrupte jonchée de cailloux. La danse des nuages faisant apparaître et disparaître les sapins et les sommets est superbe. Avec peu d’imagination, on se croirait plongé dans de mystérieuses estampes japonaises. Alexis dégaine son appareil malgré la menace d’une pluie ardente car le décor est photogénique à souhait.
Relativement serein sur l’heure et le chemin qu’il nous reste à parcourir, nous faisons une petite pause. Mais on regrettera bien vite de faire confiance aux panneaux indicateurs italiens. Je ne sais pas comment ils effectuent leur calcul, mais ce n’est assurément pas selon nos critères français, pour moi beaucoup plus proches de notre rythme habituel ! Nous nous rendrons compte par la suite que nous mettrons soit moins de temps, soit beaucoup plus que ce qu’indiquent les panneaux plantés sur le versant italien du GR. Et cela perturbe un peu le programme…
Voyant le temps se gâter de plus en plus, et les températures redescendre, nous reprenons notre marche, a priori assez courte avant d’atteindre notre refuge à Ciabo del Pra. Le fléchage et le brouillard perturbent notre sens de l’orientation, et nous hésitons beaucoup sur le chemin à suivre. Il commence à pleuvoir et le ciel s’assombrit. Nous sommes inquiets et le ciel n’est pas le seul à gronder ce jour-là.
Lorsque la pluie se met à tomber, nous pressons le pas. Alexis en profite pour m’informer des bons réflexes à adopter lorsque l’orage gronde tout près de nous. Si l’on entend des abeilles bourdonner dans les oreilles, c’est qu’il est temps de jeter nos bâtons de marche le plus loin possible pour éviter d’attirer la foudre sur nous. Me voici prévenue, et effrayée… ce qui permet un bon sprint dans une pente boueuse et glissante, sous une pluie torrentielle jusqu’à l’approche de l’auberge tant espérée !
Trempés jusqu’aux os, une jeune italienne nous guide vers notre chambre. L’auberge est un peu vieillotte. Il y a peu de chambres, et nous serons les seuls à dormir ici les deux prochaines nuits. Demain, nous sommes samedi, et c’est jour de pluie. Les toilettes et la douche sont au bout du couloir à l’extérieur. Une fois lavés, séchés et réchauffés, nous demandons à notre hôte si malgré cette heure tardive, largement 15h, nous pourrions manger un morceau. Difficile de se faire comprendre de cette nonna italienne, mais nous trouvons un parfait terrain d’entente à base de charcuterie/fromage/pain maisons, arrosés d’un petit pichet de rouge. Parfait !
Nous ne bougerons plus pendant deux jours. Ici tout est calme, nous sommes loin de la civilisation. Le refuge mentionné dans notre Topo Guides se trouve juste à côté. Il est bien plus gros et moderne. Ici, nous avons le charme du fait-maison, d’un confort modeste et authentique. Nous avons réservé cet endroit complètement par hasard, à la hâte, lorsque nous avions un peu de réseau internet.
En pension complète, il ne nous reste plus qu’à mettre les pieds sous la table, excités de voir ce que la nonna nous a concocté ! Le premier repas annonce la couleur : très bon et en quantité généreuse. Nous ne sommes pas les seuls ce soir car d’autres italiens du coin viennent y manger. La grande tablée à côté de nous apporte un peu de gaieté dans cette grande pièce. Ce logement nous coûte bien moins cher que les autres, le vin est même inclus dans le tarif ! Ainsi, nos estomacs bien choyés, nous alternons cette jouissance par des siestes, ponctuées de quelques lectures et autres podcasts pour nous bercer. A en voir notre facilité à nous endormir en pleine après-midi sans pour autant peiner à trouver le sommeil dès 21h, nous rechargeons nécessairement nos batteries. Et pendant ce temps, la pluie ne cesse de tomber, jour et nuit.
Jour 8 – de Ciabot del Pra (1737m) à l’Echalp (1687m)
Dimanche matin, nous regardons par la fenêtre avec hésitation. Le temps ne s’est pas beaucoup calmé et il faudra partir d’ici une heure ou deux. Serait-ce suffisant pour chasser les nuages ? Nous prenons notre petit-déjeuner et essayons d’échanger un peu avec le jeune fille de l’auberge au sujet de la météo. A priori, rien à signaler, nous pouvons partir.
Nous décidons néanmoins de modifier notre parcours. Car s’il pleuvait ici, au-dessus de 2000m, il a neigé. Et nous qui avions prévu de franchir le col Sellières (2834m) pour atteindre le refuge du Granero, nous modifions nos plans. Nous ne sommes pas équipés pour marcher dans la neige et nous redoutons les conditions climatiques. Tant pis.
A la place, nous prévoyons une petite journée et partons rejoindre l’Echalp. Le temps est gris, mais nous sommes à l’abri pour ce début de journée à grimper sous une forêt de sapins. Et puis surgit la vallée et ses beaux sommets enneigés.
Nous ne sommes plus protégés par les sapins et le vent nous cingle le visage. Nous croisons trois messieurs ayant franchi le col Lacroix (2299m) qui nous annoncent une météo similaire de l’autre côté. Le chemin pour atteindre le col est très simple. En revanche, le vent nous fait vivre un calvaire. Nos doigts sont gelés. Nous n’avions pas pensé aux gants en plein été, une erreur que nous ne commettrons plus ! Un ancien poste frontière à l’abandon nous permet de nous abriter de ces violentes bourrasques et j’en profite pour mettre un sous-pantalon et un pull supplémentaire. Nous sommes frigorifiés et sonnés !
Le temps se calme rapidement une fois le col franchi. Nous hésitons un moment : allons-nous à gauche vers l’Echalp ou bien à droite vers la Monta ? Le temps de marche est similaire, la difficulté également. Nous prenons à gauche, suivant les conseils bienveillants des randonneurs croisés jusqu’ici : tous faisaient l’éloge du refuge de l’Echalp, nommé 7 Degrés Est.
Notre bonne étoile a bien fait de pencher la balance vers notre gauche. Car à droite de la rivière, sur l’autre versant, se trouve un grand troupeau de moutons et des patous bien agressifs, posés en plein milieu du chemin qu’il nous aurait fallu arpenter et qu’il aurait été bien difficile de contourner.
Le temps s’améliore et nous apercevons le soleil en face. La température augmente un peu, nous sommes ravis. La descente dans les sapins pour rejoindre le village est facile et je m’amuse à la parcourir en trottinant pour affronter mes craintes et prendre un peu confiance sur les chemins pentus. Objectif atteint, et nous arrivons devant le refuge bien avant qu’il ne nous ouvre ses portes. Nous attendrons donc le propriétaire sur la terrasse, enchaînant les parties de Yam’s et grignotant ce qu’il nous reste de muesli et de fruits secs, le seul repas de ce midi.
Les randonneurs disaient vrais. Le refuge est confortable, chaleureux et très bien décoré. Une cheminée réchauffe nos pieds le soir venu. Une part de tarte aux myrtilles à la main, le repas du soir peut attendre.
Nous rencontrons quelques marcheurs sympathiques, entre 25 et 65 ans, avec lesquels partager notre passion commune pour la montagne. Une soirée arrosée de Genepi où l’hôte nous laissera gentiment fermer porte et lumière avant de nous coucher.
En écoutant France Inter sur “Ce que la montagne nous apprend” j’ai entendu des spécialistes évoquer les joies et les peines qu’ils ressentent, comme vous, en parcourant les sentiers escarpés de nos superbes montagnes.
Ils en rappelaient également les dangers, trop souvent négligés par les randonneurs, que la montagne risque de présenter en toutes saisons !
Je vous souhaite de tirer profit de vos “douloureuses” expériences pour préparer, avec encore plus de sérieux, la joyeuse et enrichissante conquête de vos prochains sommets …
La prochaine conquête est en effet en cours de préparation, et nous pimenterons encore un petit peu les conditions… pour faire (presque) corps avec notre environnement !