Jour 13 – De Chianale (1820m) au refuge Meleze (1800m)
Bien reposés et Alexis guérit de ses maux, nous repartons en forme pour effectuer notre dernière étape italienne. Une petite ascension matinale nous permet de changer de vallée. La température a considérablement augmenté, et nous profitons d’une pause pour retirer quelques couches de vêtements superflus. Ça va mieux.
Le chemin à parcourir est une longue et douce pente en lacets dans l’herbe sèche, parsemé de vaches et de rares maisons isolées surplombant la vallée de sapins et de charmants petits villages anciens. Monotone mais aisée, cette marche égraine les minutes, les corps et les pensées sont presque absents du moment présent.
Lorsque l’altitude diminue suffisamment, les sapins remplacent l’herbe rase. Nous sommes enfin à l’ombre ! Nous regagnons un premier village et continuons sur une route bitumée. Ce midi, nous allons profiter de la Dolce Vita italienne, mais surtout de ses trattorias. Alexis se faufile dans les petites ruelles en éclaireur pendant que j’attends sur le bord de la route. La pêche est fructueuse, il a trouvé une adresse alléchante. Nous arrivons certes un peu tard, mais nous sommes accueillis, avec le sourire, à venir nous assoir sur l’unique table en terrasse, nichée dans une minuscule cour en pierres. C’est charmant, nous sommes trop contents d’être au restaurant… en Italie !
Nous déjeunons d’une bonne assiette de tagliatelles au ragoût du coin. Une panna cotta excellente en dessert, un café, et nous sommes divinement repus. La petite marche restante pour atteindre notre refuge est de ce fait plus lourde que prévue, mais qu’importe.
Après un court passage au calme sous les sapins, nous apercevons le refuge Meleze. C’est ici que nous passons notre dernière nuit en Italie. Le refuge est grand, tout comme sa terrasse ensoleillée. Le propriétaire, un peu bourru, tarde à ouvrir notre chambre. Si l’accueil humain n’est pas aussi chaleureux qu’espéré, il sera en revanche largement rattrapé dans l’assiette. Ce soir, Gargantua n’a qu’à bien se tenir !
Le premier plat de pâtes est sensiblement le même que ce midi, mais les quantités auraient suffit à nous coucher dès le premier round. Et qui oserait laisser des restes de cet excellent ragoût ? Assurément pas nous. Le traditionnel deuxième plat entre en scène. Deux cuisses de canard chacun, accompagnées de leurs excellentes pommes de terre sautées pour éponger l’excédent de graisse. L’assiette peine à contenir le tout. Ma gourmandise n’en viendra pas à bout. Lorsque nous refusons le fromage, ainsi que le dessert, le propriétaire du refuge nous lance un regard ébahi. Si nous marchons en montagne, nous sommes forcément affamés. Certes, mais proportionnellement à nos gabarits.
Nous nous couchons épuisés davantage par les repas (du midi et du soir) que par l’effort physique. Il fait une chaleur épouvantable dans la chambre et les couettes en plume d’oie n’arrangent rien à l’ambiance tropicale des lieux.
Jour 14 – du refuge Meleze à Maljasset (1900m)
Nous avons récupéré un maximum de calories la veille pour affronter cette longue journée de marche. Pour quitter le côté italien des Alpes, nous franchissons le col de l’Autaret (2 875m). Niché au creux de hautes montagnes, le chemin arpenté passe peu à peu de l’ombre au soleil, d’un versant à un autre, laissant deviner une fine mer de nuages à l’horizon.
Nous sommes seuls au bout de quelques instants. La partie du Tour du Bric de Rubren que nous effectuons semble délaissée par les randonneurs, pour notre plus grand plaisir. Le calme qui règne ici nous offre la quiétude d’une longue marche. Un cours d’eau en contre-bas fait parler la roche et chatouille nos oreilles.
Nous sommes séduits par le cadre et par son aspect très sauvage. Nous traversons une vallée d’herbe rase, encerclée par les montagnes. Le temps est splendide, le paysage est vaste… un bol d’air garanti !
Lors d’une pause, nous découvrons au loin le col qu’il nous faudra franchir. Le peu de marcheurs que nous croisons le confirment : l’autre versant n’est pas une mince affaire. La descente sera pentue et caillouteuse, pouvant provoquer quelques glissades. Si les dénivelés positifs ne me posent plus de problèmes, je suis en revanche mal à l’aise en descente. Ce sera donc un ultime test avant la fin du trek pour mesurer les progrès accomplis durant ces deux semaines.
Quelques aventuriers passent le col à vélo. Cela demande une certaine prouesse physique qui m’échappe car il faut bien souvent porter son vélo à bout de bras pour passer les étapes “casse-gueules” où le chemin ressemble plus à un pierrier qu’à une autoroute. Un plaisir qui me serait absent car mettre un pied devant l’autre avec un gros sac sur le dos demande suffisamment d’effort et de concentration pour ne pas rajouter le poids d’un vélo de montagne.
Encore quelques pas et nous voici au col. Bientôt nous verrons ce qui nous attend et le défi à relever.
Je me suis préparée mentalement et la vue de la pente caillouteuse me semble moins effrayante que dans mes pensées. Certes, on pourrait glisser mais sans précipices ni dévers, la chute resterait moindre.
Je passe la première. Laissant mon corps se pencher vers l’avant, je descends en trottinant grâce à la vitesse entraînée par mon poids dans la pente. Je ne marche plus, je danse, slalomant en petits virages serrés vaguement dessinés dans les cailloux. Je reste concentrée mais la peur habituelle m’a quittée et la confiance la remplace. Le défi est relevé et le bilan positif. Il y a eu assurément beaucoup de progrès réalisés pendant ce trek, j’en suis ravie ! A la fin de ce long slalom, Alexis félicite mes progrès qui n’ont presque pas ralenti son rythme habituel de marcheur. Ci-dessous le chemin parcouru vu d’en bas :
Vaincre cette peur m’a tellement soulagée qu’elle a complètement (ou presque) effacé la fatigue accumulée dans la journée. Et ça tombe bien parce que le chemin à parcourir est plus long et fatiguant que nous ne l’avions imaginé sur la carte.
La première partie en Ubaye est superbe. La marche lente et facile nous laisse profiter des montagnes qui nous encerclent. Les couleurs qui les habillent sont étonnantes. Du gris anthracite, voici qu’elles se parent de rose puis de vert marbré, passant enfin au jaune doré. Tout ça sous un sublime soleil et un ciel bleu éclatant.
Le dépaysement est total et nos jambes se reposent un peu. Plus loin, le chemin se resserre et il faut alors crapahuter sur des petits rochers qui cassent notre rythme et font souffrir nos genoux. Nous sommes fatigués et pressés d’arriver enfin à Maljasset !
Mais la nature n’a pas fini de nous impressionner par sa diversité. Nous changeons soudainement de décor. Le charme opère et nous retrouvons encore un peu d’énergie pour observer la nature de nos yeux émerveillés. Une lagune turquoise se sépare en dizaines de petits cours d’eau qui serpentent un paysage bucolique. L’eau est magnifique et les sommets qui surplombent ces ruisseaux donnent au cadre toute sa noblesse. Un conte de fée n’aurait peut-être pas fait beaucoup mieux pour séduire la princesse.
Quelques truites nagent dans ces eaux limpides, il nous serait bien impossible d’en faire autant même si sa fraîcheur soulagerait bien vite nos gambettes.
Plus que quelques kilomètres et nous rejoignons enfin Maljasset pour toquer à la porte de notre refuge. Un très joli jardin et des tables dans l’herbe nous attendent avec une bière fraîche et locale pour fêter les prouesses physiques de cette longue et magnifique journée ! Le repas qui suit est excellent, nous nous régalons et regagnons rapidement notre dortoir presque au complet ce soir-là.
Jour 15 – de Maljasset à Ceillac (1639m)
Dernier matin, nous plions rapidement nos affaires et prenons notre petit-déjeuner. Allons boucler la boucle de ce trek alpin !
Pour quitter Maljasset il faut grimper dans la montagne. Histoire de finir en beauté, nous nous trompons de chemin et prenons le plus difficile. Nous avons beau être en forme et habitués à l’effort, cette pente nous coupe complètement les pattes et je suis rincée en quelques minutes.
Lorsque nous arrivons sur un plateau d’herbe rase, nous en profitons pour faire une pause. Les marmottes gambadent, ainsi que les bouquetins qui gracieusement escaladent une falaise et atteignent son sommet en quelques instants.
Une dernière montée et nous voici au col Girardin ( 2 699m). La vue sur le lac Sainte-Anne et les sommets environnants est superbe.
En contrebas, j’aperçois un troupeau de moutons placé en plein milieu du chemin qu’il nous faudra bientôt traverser. Ces deux semaines de trek n’auront pas atténuer la crainte d’une rencontre avec les patous. Même si nous n’en voyons pas pour l’instant, nous décidons de presser le pas pour arriver à peu près au moment où une famille s’apprête elle-aussi à les croiser. Et plus nous nous approchons, plus nous sommes étonnés. Pas de patous en vue. Nous voici entourés de moutons, dans un calme monacale (et surtout très agréable).
Un randonneur que l’on croise nous informe que la nuit dernière, des loups auraient attaqués un troupeau, faisant peut-être fuir les chiens qui le protège. Mauvaise nouvelle pour les bergers. J’y vois de mon côté une bonne étoile qui m’offre ce cadeau d’adieu pour notre dernier jour de marche.
Une pause sur le lac Sainte-Anne (2 415m) est un autre cadeau, de la nature cette fois. Car oui, il est magnifique. La couleur de son eau rappelle les eaux sacrées de Gokyo.
Quelques courageux s’y baignent. La pause est plus qu’agréable et nous restons assis au bord de l’eau un moment.
Un peu plus loin se trouve le lac Miroir (2 214m), dans un cadre moins minéral et plus bucolique. Pour le rejoindre, le chemin n’est pas des plus intéressant car il se poursuit sous les remontées mécaniques. Qu’importe, nous regagnons rapidement la forêt et les roseaux qui bordent le lac Miroir.
La cadre est charmant et mérite lui aussi que l’on s’y pose, fruits secs et muesli à picorer dans l’herbe. Le film peut commencer. Je ne comprends pas bien l’appellation de ce lac dont le reflet est loin d’être un miroir. Mais peut-être est-ce le vent aujourd’hui qui plisse la surface de l’eau et le rend flou, l’endroit où nous étions assis, ou bien l’inclinaison du soleil… La différence de cadre entre ces deux lacs, proches l’un de l’autre, vaut le détour. C’est d’ailleurs sur cette partie du chemin que nous croiserons le plus de monde.
Une fois passée la région des lacs, rejoindre Ceillac n’a que peu d’intérêt. Je reconnais aussi que notre tête est ailleurs. La fin du trek annoncée, nous sommes pressés de trouver un petit restaurant avec une terrasse ensoleillée. D’ailleurs les douleurs se font sentir fortement et je peine à poursuivre.
La dernière partie du parcours se fait au bord de la route, sous un beau soleil. Par chance malgré notre arrivée un peu tardive, un restaurant propose de nous servir le plat du jour. Pas le choix mais nous sommes contents car affamés.
Nous laissons les heures s’écouler en terrasse, attendant l’heure décisive où le bus viendra nous chercher pour nous déposer à la gare de Montdauphin Guillestre. Sur la table d’à côté, un jeune homme hollandais profite lui aussi du soleil. En anglais, il nous annonce qu’il a également terminé son trek et propose de nous accompagner en voiture jusqu’à la gare. Parfait !
Le monsieur sillonne tout le pays en voiture, lassé des autoroutes, il s’amuse beaucoup à conduire dans ses lacets étriqués de montagne. Pour notre part, nous ne serons pas trop rassurés par cette conduite un peu agressive ! Nous arrivons ainsi largement à l’heure pour notre train de nuit. Ravis, nous avons même le temps de manger une pizza au petit restaurant près de la gare. Vers 20h30/21h, nous rejoignons le quai et rencontrons de nouveau le jeune homme que nous avions croisé au sommet du Pic de Caramantran. Avec ses deux amis, ils s’étaient lancés dans l’ascension du Pain de Sucre dans la foulée. Une grosse journée !
Cette fois, nous dormons en 1ère classe. Le train n’a démarré que depuis quelques minutes que je m’endors déjà d’un profond sommeil pour ne me réveiller qu’à l’annonce de notre arrivée imminente à Paris. Je crois n’avoir pas si bien dormi depuis des années. L’air de la montagne ne serait-il pas le meilleur des remèdes… affaire à suivre l’année prochaine !
Un bien beau secteur, découvert il y a 3 ans avec un certain… François Bodet !
Il y a de très belles couleurs dans ce coin, entre les lacs et les montagnes 🙂
J’attendais la fin de votre récit pour en être certain, mais ces paysages, ces couleurs, ces lacs, cela donne vraiment envie de découvrir les massifs et sentiers italiens entre Queyras et Ubaye.
Bientôt….peut-être 😊
Un excellent entraînement que cette descente du col du l’Autaret vers Majasset pour le GR 54 l’été prochain. 😛
Oui en effet, on s’habitue peu à peu à marcher sur des sentiers plus techniques… en préparation pour les Ecrins 🙂
Vous avez incontestablement pris beaucoup de plaisir à vivre ce trek.
Et ce dernier volet de vos pérégrinations illustre parfaitement, par la qualité des images et la gaité qui se dégage du récit, votre bonheur d’avoir une fois de plus surmonté les difficultés, prévisibles ou pas, de ce genre d’expédition où l’hostilité du milieu rivalise avec la beauté des paysages !
On compte évidemment sur vous pour ficeler avec le même enthousiasme les récits de vos prochaines aventures …
Je ne manquerai pas de raconter nos prochaines péripéties dans les Ecrins. Dormir en tente, porter tout notre matériel pour quelques jours, ça va probablement nous rajouter quelques aventures marquantes !