D’haridwar à Pokhara, trajet homérique

Jeudi 7 mars, au matin, nous rendons notre logement en milieu de matinée, le bus est prévu vers 22h30… On flâne encore et encore dans les ruelles du chok (bord du fleuve), que nous connaissons maintenant fort bien, entre stands de bouffe et innombrables produits made in china, le tout sous plastique. On s’installe pour boire quelques chais et tuer le temps au soleil en compagnie de nos amis les chiens, aussi lascifs que nous ce jour-là.

Puis on retrouve l’atmosphère sereine du petit ghât au sein des ruelles commerçantes. Perdu, loin de la concentration religieuse, seuls quelques habitués semblent ici venir faire leurs ablutions et rituels. Le tout protégé, par un sâdhu, gardien du lieu, entre prières, discussions et usage fort fréquent de son shilom. Nous y resterons quelques heures à observer la vie qui s’y écoule, à l’écart du bruit et de la foule, chose rare pour nous en Inde.

 

Après un excellent dosai (crêpes de lentilles farcies ici d’oignons et pommes de terres et servies avec plusieurs sauces), nous allons voir un temple au sommet d’une colline surmontant la ville. Au lieu de prendre le très alpin téléphérique pour l’atteindre, nous choisissons la marche à pieds, ça nous fera un petit entraînement népalais. Au fil de nos pas, la concentration de vendeurs sur le chemin, d’eau tout d’abord puis d’offrandes et autres bracelets made in china, se fait de plus en plus présente… atmosphère mercantile qui en devient malsaine, nous le ressentons tous les deux. Arrivés au temple, notre impression est confirmée, une partie du temple, transformé en centre commercial, entre fritures et stand de portrait devant un décor en carton pâte du temple même… alors que le véritable temple est bien sûr caché par le décor en carton pâte… Le reste du temple est du même acabit, et chaque pas semble le prétexte à une nouvelle donation. Nous rebroussons chemin en vitesse, redescendons en ville et terminons la journée par un ultime regard à ces ghâts et la vie qui les entourent.

En début de soirée, nous récupérons nos sacs et prenons à pieds, chargés comme des mules le chemin de la gare routière. Trajet difficile, le long de l’axe central de la ville entre klaxons et harangues des tuk-tuks, à aucun moment déstabilisés par notre refus précédent quelques mètres (soyons indulgents…) auparavant.

Arrivé à la gare, on s’assure de notre quai, plusieurs demandes, plusieurs réponses…   mais les réponses nous donnent des quais proches, on est en confiance. On profite d’un petit resto à l’écart de l’avenue pour prendre notre dernier thali, excellent. On finit le repas avec une franche et fort sympathique discussion, avec un jeune indien de 22 ans. En couple, à l’aise dans sa peau et avec son rapport aux femmes, les sujets sont fort ouverts, sa curiosité de notre situation “maritale” étant largement égale à nos interrogations indiennes. Un peu avant l’heure prévue de notre bus, il nous aide à le trouver, celui-ci ne s’arrêtant finalement sur aucun quai, se contentant de stationner, phares allumés, un peu plus loin et à l’abri de nos regards… Et c’est parti pour 9 heures de bus, direction Pilibhit, notre premier étape. Route horrible (à ce moment là, nos premières journées népalaises sont depuis passées par là), plusieurs fenêtres laissées ouvertes par des passagers sans doute venus des confins de Sibérie, rendent l’atmosphère glaciale… le sommeil est rare, voir impossible. Arrivés bien en avance, on prend un tuk-tuk pour la gare ferroviaire et savourons enfin plusieurs chais.

Puis train pour Banbasa à la frontière népalaise. Au début vide, l’omnibus se remplit au fur et à mesure… dans notre compartiment un groupe d’ados, fort mal dégrossis, s’installe. Regards appuyés, allusions obscènes qui font rire la galerie (sauf nous), le message est clair et Laura en prend pour son grade. La bêtise adolescente semble bien partagée de par le monde, et le besoin de traducteur est nul dans ces situations. Au bout d’une heure d’apnée et de regards fuyants vers le paysage de notre part, nous pouvons enfin fuir ce maudit train.

Un énième tuk-tuk nous amène à la frontière, sur un barrage hydroélectrique, qui au vu du tracé des frontières ne profite qu’au géant indien. Les tampons indiens sont faits rapidement, petite marche rapide sur 1 kilomètre pour atteindre le poste frontière népalais… Une femme, chauffeuse de tuk-tuk nous harasse pour monter dans son véhicule et faire les 6 à 8 derniers kilomètres, selon ses dires… Que nous parcourons en moins de 30 secondes bien sûr, le poste frontière étant juste après le virage où la femme a tenté sa dernière chance. A cette vitesse de marche, le Népal n’a qu’à bien se tenir.

On prend nos visas, puis notre premier tuk-tuk népalais, fort semblable à ces prédécesseurs. A la gare routière, fatigués de cette nuit, nous refusons les bus touristiques nous emmenant directement à Pokhara… et préférons couper le chemin en deux avec une nuit de repos bien méritée ce soir. Direction donc Kohalpur, en bus local. Confortablement installés au premier rang, nos sacs à dos à la place de nos jambes et celles-ci allongées sur les dits sacs ainsi que la banquette jouxtant le siège du chauffeur, nous sommes parés pour les 200 kilomètres du trajet. Estimés par les locaux entre 3 et 4 heures.

Grossière erreur, le bus étant un bus local de chez local, celui-ci s’arrête toutes les 2 minutes pour prendre un nouveau passager. Et bien plus rarement en faire descendre un. Outre une vitesse moyenne fort décevante, on se retrouve vite avec des gens sur la banquette et une place fort précaire pour nos jambes. Difficile à gérer pour Laura, pour moi c’est l’épreuve de force. Le tout, complété par des clips de Bollywood sur écran dans le bus avec un volume sonore digne des plus belles after parties du Sziget !

Au bout de 5 heures, le bus se vide fort rapidement, on croit pouvoir finir le trajet tranquillement. Sauf que non, le bus s’arrête… c’est son terminus. Et nous prenons place dans un autre bus, tout aussi bondé que le précédent. Laura est alors assaillie de questions par plusieurs népalais, difficile épreuve d’anglais qu’une longue conversation de fin d’après midi après une nuit blanche.

8 heures plus tard (25 kilomètre heure, record battu depuis), nous arrivons à destination, prenons la première piaule disponible (sans fenêtre et hors de prix), ne souhaitant qu’une chose, profiter d’une bière fraîche disponible partout. Ce qui nous change fort de l’Inde. Laura, enthousiaste au possible pour découvrir les momos (raviolis népalais) en commande plusieurs tournées sans regarder la carte. Grossière erreur, ceux-ci doivent être aussi cher que ceux pris au dernier camp de base de l’Everest. On s’enquiert, malgré l’euphorie houblonnée, que des bus vont jusqu’à Pokhara, le patron nous assurant de leurs présences chaque heure dès 6 heures du matin.

C’est à cette heure-ci qu’on se lève et qu’on rejoint la gare routière, on nous assure que les bus pour Pokhara ne partent qu’à 16 heures. Désillusion, énervement pour ma part, on décide alors de prendre un autre bus local pour Butwal. Un couple barcelonais (nous le saurons par la suite), fait de même, ce qui nous rassure, voyant leurs bonnes maîtrises du népalais. Vers 11 heures du matin c’est la première pause repas, et nous ne le savons pas encore, la seule de la journée. Ne sachant pas si nous avons le temps de manger un dhal baat (équivalent Népalais du thali), nous nous contenterons d’une simple friture, se relevant de la simple pâte à beignet. Pour tenir une journée complète, c’est un peu léger…

Partant à 7 heures, nous arrivons sur place à 15h30, dans la moyenne de nos 25 kilomètres / heure. Puis on fonce à la gare routière à pieds, le couple barcelonais nous indique qu’il y a deux chemins pour atteindre notre destination finale, un par la montagne, difficile, mais court en kilomètres, et l’autre par la plaine, plus long. Arrivés sur place, on nous pousse gentiment dans le, soit disant, dernier bus pour Pokhara, on ne connait pas encore la route empruntée. Celle-ci se révèle bien vite celle de montagne, entre lacets aventureux, nids de poules, et autres pierres bloquant une des deux voies présentes. Le couple de barcelonais nous demande si nous avons une chambre pour ce soir… Ni une, ni deux, ils prennent pour nous également une chambre dans une guest house proche du lac qui se révélera super.

Arrivé à Pokhara à 22h30, un ultime taxi,  et on peut enfin savourer (question de point de vue) une simple omelette et du pain grillé… l’essentiel n’est pas là, nous venons de finaliser ces 48 heures de voyage et c’est bien tout ce qui compte, nous sommes enfin à Pokhara, et demain matin, on pourra profiter du lac à l’aube… enfin pour ceux qui se lèveront !

 

Alexis B.

6 thoughts on “D’haridwar à Pokhara, trajet homérique

  1. Et bien, quel trajet ! Il s’est passé plusieurs jours depuis et je pense que ce que vous avez découvert à l’arrivée vous a vite fait oublier ces longues et pénibles heures de trajets.. Profitez bien du Népal et continuez de nous régaler avec vos récits et vos photos !

    1. Les trajets ici ne sont guère plus rapides mais les gens et l’ambiance générale sont assurément beaucoup plus reposants 😅

  2. D’aucuns, parmi les “grands” voyageurs, prétendent que la meilleure façon de s’imprégner d’un pays c’est de prendre les transports en commun locaux.
    A n’en pas douter, votre liaison Haridwar – Pokhara en est une belle illustration. 😉
    Merci pour ce récit détaillé et très “vivant”

  3. L’évocation de vos galères en Inde nous rappelle combien il fait tout même bon vivre, ici !
    Vos récits relativisent nos tracas quotidiens.
    En les lisant nous apprécions, ne serait ce qu’un instant, tout ce qui chez soi fait tant défaut chez les autres …
    Un petit regret peut être de ne pas pouvoir goûter les plats évoqués avec gourmandise !!!

    1. En effet, je me suis fait la même réflexion sur la France … même nos plus petites routes de campagne cabossées, et nos bouchons de quelques heures sur l’autoroute sont loin d’être si « chaotiques » !

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