Sapa l’authentique, Oui

De retour au Vietnam, la promesse et la nostalgie des montagnes nous dirigent au nord, à Sapa. Au programme, des hautes montagnes recouvertes de végétation sur lesquelles sont accrochées des rizières en escalier par milliers. Le tout avec une riche palette allant du vert au jaune d’or.

Nous passons une première journée à marcher par nous-mêmes au sud de Sapa, là où les rizières en terrasses sont dites les plus spectaculaires, mais aussi et évidemment les plus arpentées par la horde de touristes. Puisque tout le monde est accompagné d’un guide, nous avons bien fait de nous abstenir de notre côté. Il y a suffisamment de monde à suivre pour ne pas se perdre dans le dédale de petits chemins boueux et glissants. La vue est spectaculaire tant c’est immense. Malheureusement, nous arrivons un peu tard car une immense majorité des terrasses est déjà récoltée, et nous ne verrons pas ces escaliers dorés au pieds des montagnes. Du moins, pas cette fois.

 

 

Après trois bonnes heures de marche en plein cagnard, et sans crème solaire (à force d’être très souvent dehors, nous avons perdu l’habitude des coups de soleil), nous revenons écarlate, et la peau de mon décolleté est bien brûlée ! J’ai été bien surprise d’apprendre par la suite, en regardant la météo, que l’indice UV dans la région est incroyablement élevé. Et si ce jour-là nous n’étions “que” à 11, nous atteindrons jusqu’à 14 dans les prochains jours. La crème solaire sera donc de nouveau notre partenaire indispensable par la suite.

Cette journée de marche nous a permis de chauffer un peu nos jambes avant notre trek qui démarre le lendemain. Nous avons réservé un guide, indispensable pour marcher en itinérant dans la région. Pour être accepté par les habitants d’une part, et pour se faire comprendre d’autre part. Les différentes ethnies de la région (Hmong noir, blanc, vert, rouge, fleuri et les Dao rouges que nous rencontrerons sur notre passage) parlent tous une langues différentes. Par conséquent, ils ne se comprennent pas entre eux. Il faut donc, s’ils veulent communiquer entre eux, parler vietnamien, s’ils le maîtrisent.

 

 

L’agence Vietnam Nomadtrail nous a concocté un trek à la carte, avec une femme guide Hmong noire, parlant bien anglais, d’une durée de 4 jours et 3 nuits dans la région nord, presque ignorée des touristes. La jeune fille avec qui nous échangeons pour faire cette réservation parle un bon français (en rajoutant “oui” à chaque fin de phrase), ce qui facilite l’explication des détails sur la longueur de nos journées de marche, mais aussi sur le “confort” auquel nous attendre. Si la première nuit est décrite comme impeccable, elle répétera à plusieurs reprises que la deuxième est en revanche “très authentique, oui”, ce qui ne manquera pas de me faire rigoler, comprenant bien le sens caché derrière ce mot. Comprendre donc “rustique, roots, sommaire”. Les treks en itinérants plusieurs jours durant ne se font pratiquement pas. Et s’il est facile de passer une nuit dans la campagne, il nous sera impossible d’enchainer plus de 4 jours. Nous payons un peu plus cher pour ce trek personnalisé, mais nous serons finalement au moins quatre pour les trois premiers jours, et six lors des journées 2 et 3. Tous français, tous très sympas.

 

 

Nous démarrons donc notre trek avec deux jeunes hommes habitant le sud de la France. Sept heures de marche nous attendent. Et si les deux premières heures se passent dans le brouillard, nous gagnons rapidement en chaleur lorsque le soleil pointe son nez. Nous constatons encore une fois un peu déçus que les récoltes de riz ont déjà eu lieu dans la région, rendant le paysage nettement moins majestueux avec ses escaliers de terre. Mais notre guide nous rassure, notre deuxième journée sera dorée ! La montée est rude sous ce cagnard. Nous sommes d’ailleurs surpris d’avoir commencé une si longue journée à neuf heures passé. Après cinq heures de marche, nous atteignons une rivière dans laquelle se baigner, le Graal ! N’ayant pas de maillot, je resterai habillée, profitant de la fraîcheur des vêtements trempés pour marcher les deux dernières heures de la journée. Ça nous a tous fait un bien fou, comme si nous redémarrions à zéro, les jambes légères.
Au loin sur une colline, j’aperçois une superbe maison au toit de chaume. J’interpelle les garçons en rêvant d’y passer la nuit. Bingo. C’est effectivement la première nuit qui nous attend. La vue sur la vallée est superbe, nous sommes ravis d’y déguster notre bière sur la grande terrasse. Nous rencontrons ici deux autres jeunes couples (français également, décidons qu’est-ce qu’ils marchent dans ce pays !). Nous passerons une chouette soirée à déguster des nems que nous avons tous confectionné, lors d’un petit atelier cuisine. Tradition oblige, nous arroserons notre repas de quelques verres “d’happy water”, comprendre vin de riz local, pouvant osciller entre 25 et 40 degrés selon l’alcoolisme du fabricant. Ce soir, c’est soft, et tout en prolongeant la soirée sur la terrasse, nous serons tous sous notre couette à 21h15, bien fatigués par cette longue journée sportive.

On nous avait annoncé un petit déjeuner “tôt” à 8h30 le lendemain matin. Mais, couchés la veille comme les poules, même en prolongeant le réveil sous la couette pour le plaisir, nous serons tous à table vers 7h30, à déguster le pas traditionnel mais néanmoins très populaire dans chaque pays, pancake à la banane. La version “occidentale” du petit-déjeuner pour qui refuserait la traditionnelle soupe de nouilles.

Sur cette photo, notre guide Bau, est à droite.

 

 

Pour cette deuxième journée de marche, un des couples vient se greffer à notre groupe de quatre. Ils dormiront donc avec nous dans “l’authentique” homestay. On nous avait prévenu qu’on ne pourrait pas s’y laver, mais que nous pourrions en revanche bénéficier d’un très traditionnel bain aux herbes (plutôt “authentique” dirons-nous pour rester dans le bain, sans mauvais jeu de mots). Notre guide nous l’a vivement conseillé pour ses vertus relaxantes. Elle a donc prévenu la famille pour qu’elle puisse le préparer en avance : les herbes cueillies dans les montagnes alentour doivent baigner dans l’eau bouillante au moins trois heures pour libérer leurs vertus.

Cette journée sera de loin la plus belle du trek ! Comme promis, le riz n’a pas encore été récolté dans la région et les rizières sont dorées. L’effet est spectaculaire, dominé par ses montagnes verdoyantes. Nous marchons émerveillés, l’appareil photo dégainé plus rapidement que son ombre. Petit pic-nic à l’ombre sur le chemin, assis sur des bamboos, qu’il nous faudra déplacé par deux fois pour laisser passer les scooters locaux. Nous confectionnons chacun notre banh mi avec de la Vache Qui Rit, du concombre, des tomates, des œufs et du poulet. Et c’est reparti. Comme la veille, nous atteignons, avec un immense plaisir, une cascade où nous baigner.

La dernière image de la journée fût la plus belle de toutes. Une des nombreuses images du paradis sur terre. La chaude lumière de fin de journée accentue le doré des rizières dont les escaliers descendent jusqu’à la rivière qui coupe la vallée en deux. Sublime.

 

 

Nous traversons la rivière et remontons quelque peu dans la montagne face à nous. C’est ici que nous logeons. Presque en face de ce somptueux paysage. Il n’y a pas vraiment de village à proprement parlé, juste quelques maisons en bois au bord de la route. La grande terrasse en béton brut nous accueille avec ses chaises, sa table, son thé de bienvenu, agrémenté rapidement d’une tournée de bière pour chacun. Nous posons nos sacs dans nos chambres (je m’attendais plutôt à un dortoir), et découvrons la maison. Vaste. Un sol en ciment, un toit en tôle et des poutres en bois, peu de meubles, et presque aucune lumière ne peut rentrer par les fenêtres. Nos chambres un peu à l’écart ne sont guère mieux, et j’aperçois déjà les toiles d’araignées qui décorent chaque coin de notre minuscule chambre qui n’a de place que le lit deux personnes qu’elle occupe. Pas de draps, on nous avait prévenu, et une couverture qui a dû voir passer plusieurs génération avant de croiser le tambour d’une machine à laver.
Jossia, la jeune fille du couple est encore plus dépitée que moi et je rigole à voir son visage horrifiée. Nous sommes contentes d’être plusieurs ce soir pour passer cet “authentique” moment ! Cela rend le contexte un peu moins glauque. Le brasier de la cuisine au centre de la pièce principale dégage une épaisse fumée qui rend l’air irrespirable. Nous retournons vite sur la terrasse.

 

 

Notre bain aux herbes se fait attendre et à voir l’état des toilettes, je me demande bien où l’on va pouvoir se “baigner”. Les deux jeunes sudistes ont eux aussi réservé un bain, mais nous serons les premiers à en profiter, avant notre repas en famille, car on ne peut se baigner que deux par deux. Le bain n’est autre que deux grosses poubelles en plastique dans lesquelles nous plongeons chacun de notre côté. Un rideau de plastique nous sépare de la salle commune. L’eau est bouillante, une autre bassine d’eau froide est à notre disposition pour en rajouter si besoin. Nous peinerons à rentrer dans l’eau, et une fois immergés, nous sommes abasourdis par les odeurs de toutes ces herbes qui ont infusé précédemment et qui sentent si fort que nous sommes proches de l’huile essentielle. Nous ne resterons pas plus de dix minutes car la chaleur de l’eau et les vapeurs nous rendent stones. Lorsque nous rejoignons la pièce commune, nous sommes complètement à l’ouest ! Notre guide vient me voir et me conseille d’aller nous allonger dans notre chambre dix minutes pour que ça aille mieux. Et en effet, comme après avoir fumé de l’herbe, nous sommes chamallow mais nous retrouvons nos esprits. L’effet de ce bain aux herbes est vraiment surprenant ! L’odeur persiste sur notre peau et dégage un parfum agréable. C’est très agréable, étant donné que parfum il n’y a pas depuis plus de six mois !

 

 

Ici aussi, nous participons à la préparation des nems qui seront très bons une fois frits. Le reste de la cuisine est savoureuse, hormis le poulet. Difficile d’avoir un repas sans poulet, surtout lorsque c’est jour de fête comme ce soir, où la famille accueille des invités. Ils ne désossent pas le poulet et le coupent comme on couperait des lamelles de carottes. Cuit dans l’eau bouillante, sans aromates, le poulet n’a aucun goût et sa chair est élastique et presque immangeable. Traditionnellement arrosé de happy water, nous en buvons plus que la veille, avec un degré bien plus élevé également, notre repas sera enjoué ! Entre-temps, Jossia trouve une grosse araignée dans sa chambre, en pleurs, les guides tentent de la tuer avec nos bâtons de marche. L’araignée s’est faufilée entre sa chambre et la nôtre, cachée entre le mur, cela complique la tâche aux guides qui parviennent à s’en débarrasser et à soulager notre angoisse. La fin du repas se termine avec un jeu à boire général qui consiste à lancer en l’air l’os du nez du poulet que nous venons de manger.

 

 

Le lendemain, la première côte dans la broussaille sera éreintante. Boire ou marcher, il faut choisir. Notre guide est la seule à connaître le chemin. C’est la raison pour laquelle nous sommes accompagnés des quatre autres français et leurs jeunes femmes guides. Et en effet, il n’y a parfois aucun chemin. Nous ne croiserons d’ailleurs aucun autre touriste du séjour ! La journée est fatigante mais elle est plus courte que la veille. Après notre repas du midi, nous nous séparons. Les quatre français repartent en navette, et nous continuons seuls de notre côté. Après à peine une demie heure de marche, nous atteignons le homestay choisit par la guide pour notre dernière soirée. En arrivant, il y a foule à table. On imagine donc un très bon festin pour ce soir et on salive d’avance. La vue est magnifique et nous profiterons joyeusement du coucher de soleil sur la vallée.
Lorsque vient l’heure du repas, nous regardons chaque met avec envie. Et puis nous passons des yeux à la bouche. En déchantant, beaucoup. Tout est très mauvais. Et l’hôte nous rajoute des morceaux de canard, de poulet. Nous sommes ravis, surtout Alexis qui manque de vomir en avalant une bouchée de liserons d’eau. Ce qui me fait beaucoup rire, étant donné que nous sommes tous les deux dégoûtés d’avoir si faim et si peu envie d’avaler quoi que ce soit…

 

 

Le lendemain matin, nous partons relativement tôt, après une soupe de nouilles instantanées (plutôt correcte en comparaison de la veille). Nous marchons quatre heures entre forêt, cascades et petits villages. Nous croiserons de méchants chiens, savamment repoussés par la guide et notre accompagnateur. Aujourd’hui, un homme du homestay de la veille nous accompagne car nous traversons des villages aux ethnies différentes qui semblent ne pas très bien accueillir les Hmong noirs dont est originaire notre guide. Nous serons donc accompagnés afin d’éviter de payer inutilement des “droits d’entrée” et ainsi pouvoir marcher sans contraintes.  Vers midi, un chauffeur nous attend au bout du chemin et nous regagnons Sapa. Après un rapide repas à l’agence avec notre guide, nous nous disons au revoir, accompagné d’un pourboire et d’un immense merci à notre charmante guide. sa vie quotidienne ne semble pas facile : à 27 ans, deux garçons en bas âge et un mari alcoolique qui ne s’en occupe pas lorsqu’elle est absente, elle a dû jongler entre son travail de guide et celui de maman absente, rythmé par des dizaines d’appels de son mari trop alcoolisé et de ses enfants qui demandent quand elle rentre à la maison. Son mari ne souhaite d’ailleurs plus qu’elle fasse des treks de plusieurs jours afin de pouvoir s’occuper des enfants le soir venu. Triste vie, et pourtant charmant sourire.
Un grand merci à notre guide Bau qui nous aura fait découvrir un “authentique” Sapa, et aux autres membres du groupe qui ont sublimé la beauté des paysages et des rencontres.

 

Laura B.

8 thoughts on “Sapa l’authentique, Oui

  1. Je me répète mais vous félicite à nouveau pour vos choix de trajets au Vietnam.
    Vous semblez ravis et totalement “réconciliés” avec le sud est asiatique.
    Que votre ravissement dure longtemps !

    1. En effet, le Vietnam nous a bien réconcilié avec le sud est asiatique, si bien que nous avons décidé ne pas quitter cette région jusqu’à la fin de notre voyage !

  2. Merci Laura et Alexis pour ces articles et ces photos qui me font voyager, bien vissée dans mon canapé. J’avoue que je ne vous enviais pas vraiment au début de votre voyage. Le portrait de l’Inde que vous nous avez fait ne me donne plus du tout envie de visiter ce pays. Pour ce qui est du Népal, tout en vous admirant, surtout toi, Laura, pour vos prouesses physiques et mentales et en comprenant votre bonheur d’atteindre ces sommets, jamais je n’aurais voulu être à votre place. Souffrir autant à escalader des montagnes dans des conditions météorologiques horribles pour mon goût et un confort quasi inexistant, ce n’est pas à mon âge que je peux imaginer cela. Mais pour être honnête, même à 30 ans, je n’en aurais pas eu le courage. Alors, bravo!
    Par contre, ton dernier article, Laura, m’a donné l’impression de voyager avec vous. Tu nous a raconté ce trek de façon si vivante qu’on n’aurait même pas eu besoin des photos pour imaginer les rizières dorées, le visage de votre guide et les cris d’horreur de la jeune française terrorisée par les araignées. Peut-être parce que le Vietnam est un pays que je voudrais vraiment découvrir, maintenant, grâce à vos reportages, je vais essayer de convaincre Michel. La chaleur humide va être un obstacle pour lui mais la lecture de vos textes ne l’a pas laissé indifférent, au contraire. J’ai peut-être une chance d’y arriver !
    Je vous embrasse très fort tous les deux.

    1. Un grand merci Christine pour ce gentil commentaire qui retrace notre périple depuis le début 🙂 Le Vietnam a grandement ravivé la flamme concernant le sud est asiatique, qui s’était un peu éteinte avec la découverte décevante de l’Indonésie. J’ai adoré notre trek à Sapa, d’où les petits détails croustillants et “authentiques, oui !”.
      En choisissant les bons endroits et la meilleure saison,vous pourrez très certainement découvrir le pays avec des étoiles plein les yeux, tant la diversité des régions apporte son lot de surprises, de sympathie locale et de paysages sublimes 🙂 gros bisous à tous les deux (depuis mon confortable lit !)

  3. Ton article devrait être lu par tous ces ignorants pour qui bonheur est synonyme d’opulence …
    D’une façon générale, la narration de vos péripéties illustre clairement le plaisir (non sans douleur !!!) que vous prenez à découvrir les charmes cachés des régions traversées.
    Cette fois-ci, je ne sais pas si l’happy water et/ou le bain parfumé y sont pour quelque chose (?) mais j’ai trouvé ce dernier épisode particulièrement joyeux malgré l’inconfort quasi permanent.
    Vous donnez (oui) plus que jamais l’impression de baigner dans le bonheur … que nous partageons, évidemment … mais confortablement installés !

    1. Merci Papa ! En effet, j’ai adoré notre trek à Sapa, et le fait d’avoir partagé ces petites difficultés à plusieurs a certainement embelli le parcours et rajouté de franches rigolades 🙂
      Et puis, depuis le Népal, j’ai effectivement appris que le miel sans le vinaigre, c’est du miel édulcoré !

  4. Salut Laura!
    Superbe article qui me permet de revivre avec joie (et amusement 😅) ces beaux moments passés à Sapa et en votre compagnie!
    J’espère que vous vous portez bien au vu de la situation.
    Gardez votre émerveillement et votre amour du voyage, qui sait si on se recroisera dans un coin perdu… 😉

    1. Quelle surprise et quelle joie de te lire ici ! En effet, vu la situation actuelle, il est difficile de trouver un nouveau boulot… notre retour en France, au-delà de la tristesse éprouvée à la fin d’un si long voyage, a été mouvementé 😉
      J’espère que vous allez bien de votre côté et que le confinement ne vous démoralise pas trop…on était mieux sous les tropiques en Asie !

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