L’Annapurna Base Camp – Seconde partie

Jour – 4 : De Bamboo à Deurali

L’objectif initial de cette journée était de la faire plutôt courte. Nous avions déjà pas mal marché le jour précédent, rallongeant deux heures au programme.

Notre citron chaud à la main (bien meilleure option que l’habituel Black Tea) et notre riz frit pour petit-déjeuner, nous pensons partir à 7h30 et s’arrêter à Himalaya…
C’est là que notre hôte modifie nos plans. Toujours écouter les conseils du local, connaisseur patenté des montagnes environnantes. Car les conditions, nous le savons, sont un peu perturbées par les épisodes neigeux, plus conséquents que la normale saisonnière. On nous conseille donc vivement de pousser plus loin notre marche, jusqu’à Deurali, petit village à 3 200 mètres d’altitude, le dernier avant d’atteindre les camps de base de Machapuchare (ou Fish Tail) (à 6 993 mètres d’altitude, et celui des Annapurnas, dont le dixième plus haut sommet du monde, l’Annapurna I, culmine à 8 091 mètres).
En effet, avec les fortes chutes de neige, les risques d’avalanches sont très élevés. Néanmoins, notre hôte nous rassure : pas besoin de crampons aux chaussures, et en passant aujourd’hui l’étape difficile Himalaya-Deurali, on s’assure un lendemain plus facile pour atteindre le clou du spectacle. C’est parti.

La forêt escarpée qui nous accueille est bien jolie. Et les escaliers disparaissent peu à peu, ce qui ne manque pas de ravir nos genoux, et surtout ceux d’Alexis. Amoureux éperdus que nous sommes de gastronomie, nous pensons trouver sur notre chemin des épinards sauvages. Et voici que démarrent les énumérations des nombreuses recettes qui leurs seraient dédiées. Mais c’est en croquant un morceau de cette feuille si verte et si brillante que mes connaissances botaniques tombent dans le ravin. Fini notre imaginaire qui nous faisant tant saliver !

Si cette forêt ne nous permet pas de régaler notre imaginaire, elle accueille en revanche un troupeau de gros singes gris dont la face noire est ornée d’une collerette blanche. Toute la famille y passe, les fleurs de rhododendrons leur servant de repas.

La forêt se dissipe, et la voici qui laisse place à quelques premières parcelles enneigées. Bientôt nous atteignons Himalaya, 2 920 mètres d’altitude.
La neige s’impose, tout comme la fatigue. Nous croisons un couloir d’avalanche qu’il nous faut traverser. Pas de chance, nous ne voyons pas le chemin au-dessus de nous et nous nous retrouvons coincés dans le mince couloir de neige. La pente est raide et ce n’est pas facile de se déplacer. Pourtant nous devons atteindre l’escalier en face de nous, sur les hauteurs. Je ne trouve pas de prise pour prendre appui. Je n’avance pas et panique. Alexis pose son sac sur une zone sèche, puis revient sur ses pas pour récupérer le mien et m’aider à avancer. La fatigue et la peur prennent le dessus et couvrent mes joues de larmes. Les randonneurs au-dessus de nous, accompagnés de leurs guides, observent la situation qui ne manquent pas d’être plus croustillante en y ajoutant notre dispute !

La suite du chemin dans la neige est plus ou moins évidente. On suit les traces de pas que les autres ont laissés avant nous. Malgré ce trop plein d’émotion et d’épuisement, le paysage me bouleverse. Nous sommes enfin happés par ces énormes montagnes enneigées ! Cascades, et falaises sèches d’un côté, pics enneigés de l’autre, ce nouveau couloir d’avalanche que nous traversons est absolument sublime.

 

 

Et même si les conditions ne sont pas idéales pour prendre le temps de la contemplation, nous faisons quelques photos mémorables. Je ressens à la fois l’immensité et la sensation étrange d’être aspirée par ces monstres qui m’écrasent telle une fourmi piégée sous une chaussure. A cette altitude, les montagnes me font l’effet d’une chape de plomb, tant j’ai l’impression de rétrécir. Grandiose.

 

 

Deurali se dessine enfin, et nous foulons nos derniers pas dans la neige. Comme la plupart des villages, les maisons possèdent des toits de tôle bleus, et la petite ruelle centrale est pavée.
Nous optons pour la dernière Guest House, la plus perchée, celle qui nous permettra de démarrer encore plus tôt l’ascension du lendemain. Celle-ci n’a plus qu’une chambre de 4 que nous n’aurons finalement pas à partager. La douche se fait au saut d’eau chaude, que nous partageons, car à cette altitude, il se paye. Il était temps de se laver car le ciel s’obscurcit rapidement, des nuages menaçant coiffent les sommets et la température dégringole aussi vite que le soleil. Le vent prend le relai, nous nous cachons dans notre chambre, attendant 18h pour notre repas du soir.

 

 

Nous rencontrons quelques marcheurs. La grande question du jour étant : allez-vous tenter l’ascension ? L’hésitation plane fortement pour tout le monde. Nous voyons des marcheurs revenir de l’Annapurna Base Camp. Premièrement, ils ont un guide, deuxièmement, ils ont des crampons accrochés à leurs chaussures pour affronter la neige. Pas nous. Alors que nous étions plutôt confiants, nous décidons, comme la plupart des gens (même certains accompagnés d’un guide), de ne pas tenter l’ascension jusqu’au Machapuchare Base Camp, à deux heures de marche d’ici. Les avalanches sont quotidiennes et il continue de neiger sur les sommets. Nous voyons beaucoup d’hélicoptères en revenir. Si certains ne sont probablement que touristiques, d’autres permettent de secourir d’urgence ceux qui ont été avalés par une avalanche. Une personne n’a d’ailleurs pas survécu la semaine précédente. Nous faisons comme la majeur partie des trekkeurs (hormis les plus “téméraires”), nous rebroussons chemin. L’approche des sommets n’atteindra pas le bout de nos doigts. C’est une déception, mais qui serait de taille à contredire les humeurs de la montagne ?

La nuit est glaciale. Je garde mes vêtements, Alexis risque le caleçon pour seul pyjama. Nous nous faufilons dans nos draps sac, puis dans notre sac de couchage, et nous ajoutons 3 grosses couettes sur nos deux corps blottis l’un contre l’autre. La chaleur humaine remplacera le radiateur d’une chambre à quelques degrés en-dessous de 0 !

 

Jour – 5 : de Deurali à Sinuwa

Peu après 7h, nous repartons en sens inverse. Nous rejoignons Sinuwa, 2h de marche après Bamboo qui fût notre escale dodo à l’aller. Comme il s’agit de descendre, nous irons plus vite. La descente de Deurali est un peu scabreuse car la pente enneigée est quelque peu givrée par les températures nocturnes. Les bâtons de marche s’avèrent de bien indispensables compagnons ! La confiance s’installe, et mes pas prennent un peu plus d’ampleur. Alexis, fidèle à lui-même, et grâce à son enfance “randonnesque”, peine beaucoup moins que moi.

 

 

Vers 14h, sans croiser les charmants singes, nous rejoignons Sinuwa. Le ciel s’obscurcit peu après notre arrivée au lodge. Nous rejoignons la salle commune pour boire un thé, nous réchauffer et poursuivre cette interminable partie de Yam’s, Alexis étant toujours en tête, d’un millier de points seulement. Je ne perds pas l’espoir de rattraper mon retard, habituellement chanceuse dans mes lancés de dés ! Puis arrive notre repas. Si je commande mes traditionnelles nouilles frites aux légumes, Alexis tente la Tukpa, une soupe népalaise avec des légumes et des nouilles dans un bouillon gras. Pas assez nourrissant pour Alexis qui retrouve son appétit d’ogre adolescent depuis le début de ce trek. Entre-temps, la pluie s’abat violemment sur le village. Si les trekkeurs indépendants, comme nous, décident de s’arrêter immédiatement, ceux pourvus d’un guide ont l’obligation de poursuivre sous la pluie, puis la grêle, une pauvre bâche en plastique pour les couvrir. Les joie de la liberté n’ont pas de prix, qu’il s’agisse d’un coup de cœur inattendu ou d’un ciel fâcheux.

Les lectures et autres rêvasseries nous tiendrons en haleine jusqu’au prochain repas, ou en attendant le départ de ces gros nuages. Et en effet, le soleil revient timidement pour la fin d’après-midi.
Lorsque la joyeuse heure du repas sonne, je commande cette fois des lasagnes aux légumes. Finalement, il s’agit plutôt de pappardelles (probablement de la pâte à momos) dans de la sauce tomate, parsemées de fromage de yak râpé. Et pour la première fois, cette recette plutôt occidentale est réussie, et la portion conséquente. Alexis prendra un traditionnel Vegetables Fried Rice, espérant ainsi caler le petit monstre qu’il a dans le ventre. Echec.

La nuit se fera sous la pluie, mais la température est tellement plus douce ici que nous dormons très bien.

 

Jour – 6 : de Sinuwa à Chomrong

Cette journée est prévue courte. Seulement 3h de marche pour atteindre Chomrong, où nous espérons profiter du soleil dans un charmant village avec vue sur le Machapuchare et autres sommets.

 

 

Nous connaissons déjà notre lodge : le Chomrong Cottage est réputé pour ses pizzas et surtout son gâteau au chocolat. Et même si ça ne fait qu’un gros mois que nous avons quitté la France, la lassitude des plats népalais et l’absence totale de dessert nous font succomber à ce plaisir gourmand. La pizza est finalement trop petite, mais plutôt bonne grâce au fromage de yak qui corse le tout.
Nous bénéficions d’une chambre avec vue imprenable sur les montagnes. Et l’eau chaude de notre douche ne nous est pas facturée !

La journée glandouille au soleil s’avère en revanche désespérément ratée car les nuages bouchent intégralement le ciel, et l’eau se met à tomber.

 

 

Nous inventons donc un Grog à base de rhum et de citron chaud sucré (caché subtilement dans notre thermos!) pour réchauffer l’ambiance et pimenter notre partie de Yam’s dans la salle commune.

Nous goûtons le soir même le fameux gâteau au chocolat. Il n’en reste qu’une part qu’il faudra se partager. Et il faut bien l’admettre, il est délicieux, tout autant que dans un bon restaurant français. On en commande ainsi deux parts pour notre petit-déjeuner à venir.

 

Jour – 7 : de Chomrong à Chomrong

Nous sommes prêts à 7h pour notre petit-déjeuner que nous savons d’avance succulent. Mais il tarde à cuire. La patronne nous informe que le gâteau est au four depuis 5h ce matin mais qu’il n’est toujours pas cuit. Nous décidons d’attendre et repousser l’heure de notre départ… tant et si bien que le combo soleil / gâteau en attente modifie nos plans. Nous resterons une journée de plus ici, pour profiter de cette journée au soleil manquée de la veille.

Notre gâteau arrive finalement à 8h30. Nous sommes conviés dans la cuisine de la patronne pour assister au démoulage de l’énorme gâteau au chocolat. Les deux premières parts sont pour nous, supplément coulis au chocolat, vue sur les montagnes, soleil dans les yeux, nous sommes au paradis. Et cela pour toute la journée. Hormis une petite balade pour Alexis un peu plus haut dans le village pour faire quelques photos, le faible nombre de nos pas atteint un record. Et notre bronzage se peaufine. Nous sommes bien, prenant le temps de rêvasser et d’admirer les montagnes enneigées devant nous. Un jour off bien mérité !

 

 

Jour – 8 : de Chomrong à Tadapani

Nous descendons gentiment 400 mètres à flan de montagne, sur un petit chemin abrité par les arbres, dépourvu d’escaliers ou presque. Après Gurung se trouve un pont qui nous conduit sur 800 mètres de côte en plein cagnard. La pause déjeuner est salutaire car nous n’avons pas pris de petit-déjeuner, de plus la fatigue et la chaleur nous épuisent.

La suite du trajet sera plus reposante car nous la passerons sous une superbe forêt au charme envoûtant. Les énormes racines, le lichen dégoulinant des branches et les rhododendrons alentours nous émerveillent.

 

 

La densité de rhododendrons s’accentue fortement lorsque nous quittons la forêt à l’approche du village. La couleur de leurs fleurs et l’immensité de leurs tailles sont absolument stupéfiantes.

 

 

Tadapani est un village charmant mais le prix du logement est plus élevé qu’ailleurs, sans trop savoir pour quelle raison. Le temps se gâte rapidement et nous nous abritons dans la salle commune, chauffée par un poêle central, moment très réconfortant après notre douche froide revigorante.

 

Jour – 9  : de Tadapani à Chane

Levés avant l’aube, nous admirons la mer de nuages d’où émergent les superbes sommets des Annapurnas, avant de démarrer notre dernière journée de trek.

 

 

Les premières lumières du soleil peinent à s’infiltrer à travers les branches de la forêt et donnent une impression bien plus poétique que la veille sous une lumière crue. Nous marchons lentement, prenant le temps de ressentir le calme propre à l’éveil de la nature lorsque commence la journée.

 

 

Au bout de 3h, nous atteignons Gandruk. Nous pouvons ici parler de ville et non de village car c’est bien plus immense. Nous descendons les ruelles pendant un bon moment. Alors que je pensais avoir terminé cette marche, je me retrouve à peiner les pas restant. Les genoux sont douloureux et les escaliers n’en finissent pas. Mais enfin, un chemin de terre se dessine et c’est la route qui apparait devant nous. Le bus nous attend, le trek est terminé, en route vers Pokhara !

 

Laura B.

 

 

5 thoughts on “L’Annapurna Base Camp – Seconde partie

  1. Encore une fois merci pour ce récit très vivant et les magnifiques photos qui l’accompagnent , avec une mention spéciale pour le lever de soleil sur la mer de nuages , vraiment sublime !!!

    Au vu de vos expériences et descriptions culinaires détaillées… vous n’y échapperez pas , à votre retour il vous faudra nous préparer un délicieux repas népalais avec toutes ces spécialités !!!
    Nous y comptons bien et nous en salivons d’avance …

    1. Merci Annick ! On se régale de Momos à Bandipur, ces raviolis ne coûtent vraiment rien en basse altitude, ce qui ne sera pas le cas pour notre prochain trek 🙂

  2. Votre progression dans cet univers, évidemment hostile en ce début de printemps pour tout bipède inexpérimenté (ou presque), aura sans doute été nécessaire pour espérer poursuivre avec succès (et dans la bonne humeur) votre aventure népalaise.
    Les prochaines difficultés iront certainement crescendo avec l’altitude.
    L’expérience que vous venez d’acquérir vous servira probablement à mieux appréhender les risques et espérons le … les éviter !
    On aimerait parfois être une petite mouche pour assister à vos mises au point “stratégiques” dans les moments difficiles. Le niveau d’intensité des échanges doit surement faire trembler les colosses qui vous entourent !!!

    Bonne récupération en phase de “glandouille”,
    bonne préparation vestimentaire avant la grosse grimpette
    et bons repas tant que vous êtes en bas.

    1. Merci ! Oui les échanges peuvent être un peu houleux, mais pas de quoi rajouter une avalanche sur le chemin heureusement 😅

  3. Ces couleurs contrastées, ces textures, ces angles… cette immensité étriquée, l’Art au naturel !
    Les émotions sont à l’image du paysage. Elles rendent l’expérience encore plus vibrante.
    Le plaisir tout simplement…

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