Ultime montée et lacs sacrés

19 Avril, Benkar (2710 mètres)

Quitter Bupsa, c’est revivre sans changement aucun la journée de la veille, bien aidé par l’orage de la nuit, rendant la boue plus lourde encore. Et malgré un départ bien matinal, le sentier est déjà bien labouré par les caravanes. Le paysage nous apparaît anodin, comme fondu dans les souvenirs des cols franchis ces derniers jours.

Nous avons rejoins un chemin alternatif pour atteindre la région de l’Everest, on en ressent déjà les effets dans le village. Le lodge est pour la première fois bien rempli et l’on voit apparaître pour la première fois des groupes guidés. Je redoute fortement l’autoroute à randonneurs qu’est le sentier menant de Lukla à Namche… on verra bien ! Longue flânerie dans la salle commune pour cette froide après midi. Bien réchauffée par l’immense prestation d’un chilien partageant le refuge. Quand celui-ci va prendre sa douche froide, c’est toute la salle commune qui profite du spectacle : râles, bruits gutturaux, cris… tout y passe. J’hésite encore la vision d’un homme frileux sous les affres de l’eau montagnarde ou bien le doubleur de film pour adultes en plein travail. La salle est hilare, les camarades du chilien comme nous !

 

 

Le col est passé, nous voilà enfin dans la vallée de Lukla ! Premier indice de notre retour à la civilisation, on retrouve la sonnerie des téléphones, qui tous au col redécouvrent les miracles du réseau. Ultime descente à 2200 mètres. Hormis quelques anodines broutilles sur notre parcours, on s’imagine devant l’ultime montée. Celle qui nous mènera d’une “traite”  de ce paysage verdoyant de moyenne montagne vers les déserts minéraux des sommets.Le chemin est excellent, large et dépourvu d’escaliers irréguliers. Deuxième indice, on approche de la meute… la suite ne fera que le confirmer, entre innombrables german bakery (le starbuck de l’altitude), bars proposant des happy hour et autres salons de massage.

Et surtout, sur ce chemin, le bonjour courtois des randonneurs n’existe plus, rares sont les randonneurs souriants qui partagent leur bonne humeur, chacun est dans son monde.

 

 

Après un repas ensoleillée, le soleil disparaît bien vite et les nuages s’assombrissent à vue d’œil. Aux abords d’un hameau, la grêle déferle. On court vers les premières maisons, montant un ultime escalier aussi vite que nos lourds sacs nous le permettent. Ô joie, un bras tendu s’offre à nous. C’est une dame qui nous apercevant sur le sentier au moment où elle filait s’abriter qui nous ouvre sa porte. Que l’hospitalité est belle quand la grêle frappe têtes et bras nus. La pièce, ici aussi unique, est sombre, enfumée par le foyer comme par les cigarettes dont les vestiges ornent les multiples cendriers. Un pan de mur est occupé par la cuisine, construite autour du foyer à bois. Sur les 2 grands murs, on retrouve les longues banquettes de bois recouvertes de couettes, tapis… Un coin de la pièce, donnant sur le sentier est dédié à la tenue d’un petit commerce qui vend sodas, nouilles, biscuits, cigarettes et bétel.  Ces mêmes produits que l’on retrouve (à la référence près) en vente au sein d’une maison sur trois depuis notre départ. Quel revenu de misère cela doit être en échange de sa disponibilité constante.

Dans un coin sombre, derrière le mur présentoir, un homme isolé dans un fauteuil unique, le regard fixé sur le petit poste de télévision. Image d’Épinal du pater familias trônant au centre du salon face à l’écran. Sauf que celui-ci regarde “Nepalies in USA” réplique locale de nos amis nordistes ou marseillais. Que c’est beau cette culture qui traverse les frontières. La grêle cesse, mais l’orage perdure. Sous les trombes d’eaux, deux hommes se chamaillent joyeusement. On sent de l’amour et du respect entre eux. Peut être un père et son fils ? La photo est floue, pas grave, je garderai le souvenir de cette vraie belle image.

 

 

Le soir, nous nous arrêtons dans une simple bhatti, maison d’hôte pour les voyageurs népalais, alors que notre fin de parcours fût au milieu de nombreux lodges aux apparats bien plus luxueux… Coup du sort ou volonté inconsciente de poursuivre encore un petit peu au calme ? Le confort est sommaire, mais la soirée, pour une fois partagée avec la famille très sympathique. Ici pas question de menu, c’est dhal bhat pour tout le monde. Et pour des randonneurs, on mange sacrément tard dans cette famille. Mais cette longue attente nous aura offert une bien belle vision, celle d’une famille heureuse, égalitaire. Quand monsieur prépare le repas, madame se repose assise, savourant son thé comme sa discussion animée partagée avec un hôte (homme de surcroît) népalais. Quel plaisir, cela semble si naturel pour eux !

 


23 Avril, Khunde (3840 mètres)

 

Deux jours de marche et 1400 mètres de dénivelés plus tard, nous découvrons Namche Bazaar. Capitale officieuse de la région, la ville est immense pour les standards du coin, le vallon semble grignoté au fil des années par d’immenses constructions cubiques, toujours plus longues, toujours plus hautes. Les lodges modestes du cœur historique ont bien pâle figure devant les complexes présents aux extrémités du village… avant le prochain record de construction qui les balayera bien vite. Un axe central, des venelles de toute part, des boutiques partout, aussi bien pour le randonneur que pour les locaux, on est bien dans une grosse ville. L’axe central a un petit goût de Chamonix, entre les bars et restaurants pour fêter sa fin de marche, les vendeurs de matériels de montagne et bien sûr les gargotes présentant le plus bel artisanat “made in china”. On profite de ce confort moderne pour se baffrer une pizza. Le prix est aussi gonflé que la pizza modeste, format enfant de maternel… bien peu adapté à un estomac de marcheur, surtout le mien ! On ne nous y reprendra plus.

Pour des questions d’acclimatation, nous pensions rester deux jours sur place, avant de reprendre notre route. Mais la vie ici est bien au dessus de nos moyens de voyageurs au long cours. La décision est prise, on file faire un détour plein ouest dans la vallée de Thame. Bien vite le paysage change, mais c’est surtout l’aridité qui nous surprend dans ce canyon.  Nous pouvons laisser derrière nous ces images de cultures et de bois, c’est la roche qui nous attend désormais. Petit détour par un sentier pour traverser le fleuve plus tôt. Du bord de la falaise la vue est sublime. On descend lentement dans la gorge. Ici, bien peu de touristes, et c’est sans demande de notre part qu’un homme nous guide dans ces chemins rocailleux qui s’entrecroisent.

 

 

Après le lit du fleuve, c’est un épouvantable sentier dans le sable qui nous attend, il faut bien remonter ce canyon ! Les jambes sont cassées après cette ultime difficulté et la fin de randonnée se fait au ralenti. Village très étendu, encerclé par d’immenses enclos à bétail, on voit tout de suite qu’existe ici une vie après le trekking. Surplombant le village, un monastère nous tend les bras. J’attendrai l’aube pour aller le visiter et en profiter pour faire quelques photos des sommets environnants.

 

 

Le lendemain on rebrousse chemin et refaisons dans sa grosse majorité une partie du trajet de la veille. En évitant tout de même la descente dans le canyon. A quelques encablures de Namche, on part plein nord, direction Khunde 500 mètres plus haut. La montée est longue, et pour la première fois, le soleil nous est offert au cours de l’après midi. On pourrait croire que le beau temps arrive, croisons les doigts. La fin de la journée est très lente, le moral de Laura n’y est plus après cette longue journée. On se traîne, mais la soirée récompensera nos efforts amplement. Avec la plein lune, nous avons une vue nocturne dégagée sur le Khumbila (5761 mètres) et le Thamserku (6608 mètres). Seuls dans la nuit sur un petit muret du village, moment magique.

 


26 Avril, Gokyo (4790 mètres)

 

Dans notre tête, à ce moment-là, deux jours nous séparent de nos lacs rêvés. Peine perdue dès le lendemain matin, il n’est même pas 09h30 du matin, nous posons nos sacs pour une pause thé au col de Mong La (3975 mètres). La vue est sidérante, présentant deux chaînes de montagnes, celles vues de nuit hier comme les flancs est du Gokyo déployant bon nombre de 6000 mètres sous nos yeux. Et plein centre, seule, isolée, la figure de l’Ama Dablam sublime le paysage. A ce moment là, deux choses seulement en tête. La première c’est qu’il faut reste ici profiter de ce jardin et du soleil tant qu’il est là. La seconde c’est la nécessité d’aller voir l’Ama Dablam par la suite…

 

 

Altitude aidant, ou plutôt dans notre situation n’aidant pas, il nous faudra encore 2 nuits (l’une à 4090 mètres, l’autre à 4410 mètres) pour achever notre première partie de ce périple. Et quelle fin. Le paysage depuis Machhermo où nous passons notre dernière nuit est déjà magnifique, avec ce cirque de montagnes entourant le village, mais ce n’est qu’un prémisse. Chaque pas nous amène plus près des sommets, et plus nous avançons, plus leurs tailles nous apparaît à leurs mesures, gigantesques ! Après une première longue montée, c’est plein axe que nous découvrons le Cho Oyu (8188 mètres), intégralement paré de blanc. Nous y sommes presque, les visages s’illuminent et nos sourires s’étalent sans limite sur nos visages. On traverse alors le Dudh Kosi, comme nous l’avions fait 12 jours avant… et 3500 mètres plus bas. Mais ici, c’est pour découvrir le premier lac du Gokyo. Petit par la taille, c’est sa transparence et sa ceinture de montagne qui nous ravient. Lacs sacrés pour les hindous, c’est en qualité de brahmanes (caste la plus élevée au Népal comme en Inde) que s’égaillent dans l’eau glacée quelques canards.

 

 

En quelques minutes, nous atteignons le second lac, encore gelé par l’hiver. Petite déception que le cadre fait bien vite oublier. On poursuit lentement notre marche pour enfin découvrir le village du Gokyo, construit entre la moraine et la rive orientale du troisième lac. Autour du lac se déploie le Gokyo Ri (5357 mètres) que nous comptons bien gravir, et de plusieurs pics enneigés. Ceux-là, on les laisse bien volontiers aux vrais alpinistes. Paysage sublime, que nous célébrons, à l’abri du vent, blottis dans un coin entre 2 murs d’enclos, avec une petite flasque de rhum (achetée bas dans la vallée bien sûr) ! Il faut bien ça pour trinquer dignement à la réussite de nos vingt derniers jours. Les difficultés, la fatigue, les tensions… tout cela est balayé par la beauté stupéfiante de ce lieu.

Et dès demain, nous marcherons enfin sans sac à dos, quelle joie !

 

Alexis B.

2 thoughts on “Ultime montée et lacs sacrés

  1. Chaque nouvelle page de votre blog est un plaisir supplémentaire.
    J’avoue que j’ai un petit pincement au cœur en sachant que vous quittez demain le Népal …. ce merveilleux pays qui, dès l’origine de votre projet, fut identifié par vous comme le point d’orgue de votre périple.
    Vous le savez, l’un et l’autre, les premières fois que vous avez évoqué votre trek dans cette région du monde, j’étais pour le moins dubitatif 🙂
    Ces jeunes …. néophytes ou presque …., fetards et noctambules , allaient affronter jour après jour avec un sac à dos lourd coupant les épaules dans des conditions de “confort” bien plus sobres que lors de leurs randonnées précédentes, le froid, l’altitude et les caprices de la haute montagne pendant des semaines et des semaines.
    Et vous l’avez fait …. et bien fait …. ce trek des lacs du Gokyo avec, “cerise sur le gâteau ” de ces 5 semaines d’exception, celui du camp de base de l’Ama Dablam.
    Chapeau 👍🏼👍🏼👍🏼
    Belle découverte de la Malaisie ….. tout y sera différent mais tout aussi propice à l’aventure et au partage.

    1. Nous avons en effet quitté le Népal avec un bon pincement au cœur ! Comme la sensation d’avoir vu le plus incroyable, même si j’ignore tout de ce qui nous attend par la suite 🙂
      Mais mon rêve s’est réalisé, et il n’était pas facilement atteignable car loin de notre mode de vie quotidien, je te l’accorde. Je n’ai pas perdu foi en gardant en tête que le temps s’étirerait autant que nécessaire pour accomplir cette mission. Et si nous avons rajouté le camp de base de l’Ama Dablam, c’est parce que finalement nos conditions physiques, bien que mal exploitées en région parisienne, ne furent pas si mauvaises, et quelle joie de se découvrir ainsi ! 🙂

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