Gokyo TV Show

28 avril, Gokyo (4800 mètres)

 

De retour du quatrième lac, Laura part immédiatement se mettre au lit après sa courte nuit et les jambes encore lourdes de fourmillement. Je retrouve notre cachette de la veille et profite d’un temps encore clément. Les nuages sont déjà là, mais les sommets encore immaculés, que la contemplation est belle. Sur la rive, un couple (asiatique au vu des multiples protections anti bronzages dont ils sont munis) s’installe près de moi sans trop me remarquer. Ou bien sans aucune gêne pour moi, je ne le saurai jamais.

Monsieur commence par photographier les cairns bordant le lac. De tailles réduites et pour la plupart forts basiques, il réussit à prendre en quelques minutes autant de clichés que moi depuis notre départ de Shivalaya… Pas un mince exploit, le tri s’annonce passionnant. S’ensuit quelques photos de charme, madame le dos lascivement posé le long des cairns avec le Cho Oyu en toile de fond. Hormis les chaussures de randonnée, le pantalon flashy et la capuche couvrant presque intégralement son visage, l’image est parfaite…

Madame garde son rôle de modèle quand monsieur devient réalisateur. Longeant lentement la rive d’un air innocent, on imagine madame sur ce sentier depuis une bonne vingtaine de minutes tant le lac est grand. D’un coup, l’idée lumineuse de tourner sa tête sur la gauche lui prend. Découvrant les sommets (visible pendant sa supposée marche tout du long), un cri d’émoi s’échappe de sa bouche devant tant de beauté. Quelques rapides secondes de contemplation, point trop n’en faut, puis elle reprend sa marche lente vers la caméra. A la seconde prise, la surprise s’ajoute à l’émoi… c’est la bonne prise !

 

(Cliquer pour agrandir)

 

Les rôles s’inversent, face à la caméra, on sent la gêne chez monsieur. Ne pouvant miser sur le charme, c’est avec maintes bêtises et rires, gras et forcés, que les longues secondes sont comblées. Sûrement mécontent des cadrages et des choix de lumières (le tournage se passe bien au smartphone, il est essentiel de le préciser), monsieur congédie madame et la remplace par un ami qui vient de les rejoindre. Formation express puis explication des cadrages voulus, monsieur s’épanouit visiblement dans son rôle d’acteur réalisateur… Clint prend garde à toi, la relève viendra de l’est.

Une fois les directives passées, monsieur s’installe à son tour contre un cairn, les jambes remontées le long du torse. A sa gauche, vue sur le lac et ses sommets, à sa droite, au loin, le Cho Oyu… mais non, monsieur fixe son regard devant lui, sur la colline terreuse et lisse qu’est le Gokyo Ri. Le plus important est ailleurs, l’homme sourit, le coude posé sur les genoux et le pouce de la main bien levé… Aucun doute, on est bien dans le bonheur !

Dans un décor pareil, il n’y a pas dire, même quand le programme est proche de Plus belle la vie, c’est quand même génial la télévision !

 


1 Mai, immobile au Gokyo ou presque

 

Après notre découverte du Gokyo Ri puis du 5ème lac, Laura décide d’un repos bien mérité pour le lendemain. De mon côté, les cols environnants m’attirent, et je tergiverse longuement, ferai-je l’un de ces cols ou non seul demain. Au coucher, ma décision est prise, je n’irai pas, monter seul à plus de 5000 mètres n’est pas un modèle de sagesse. Mes habituelles longues heures d’insomnies à cette altitude auront raison de ma couardise… ou de ma raison, c’est selon !

Il est 6 heures, je suis sur le sentier menant au Renjo La (5360 mètres), et je vois devant moi plusieurs groupes, je ne serai donc pas isolé. Marchant seul, quelques biscuits et une bouteille d’eau comme unique sac à dos, je vole presque tant l’absence de poids lacérant mes épaules depuis trois semaines est salvatrice. Comme une impression de retrouver mes jambes d’enfants, quand il fallait se dépêcher de monter les pentes pour obtenir la plus belle des récompenses, la fameuse barre de Grany… en attendant le traditionnel bateau-yabon du midi ! Oui çela existe, les ruisseaux alpins pouvant témoigner ! Seule différence, j’ai ici troqué les shorts courts de l’enfance pour une jolie petite paire de guêtres.

La première partie du trajet, montant régulièrement le long du flanc nord des lacs, est avalée à grandes enjambées. On attaque ensuite une montée raide et glissante faite de très courts lacets sur une arrête. J’y dépasse ici les expéditions matinales et leurs convois de guides, porteurs et touristes marcheurs. Regards amusés locaux qui semble se dire que le grand blanc ne va pas tenir longtemps à ce rythme… En atteignant le plateau intermédiaire, je me retrouve complétement seul, il n’y a plus personne devant moi.  J’enfile les crampons et poursuis ma marche. Deux chemins s’offrent à moi, et ne pouvant voir le col d’où je suis, je suis les traces sur ma gauche, le chemin semble bien moins emprunté, cela me va parfaitement. Ce n’est assurément pas le bon chemin, mais bien en avance sur mes estimations partagées avec Laura avant mon départ, je me perds tranquillement dans ce vallon et profite de la lumière matinale pour faire quelques photos de la neige. Mais bien vite, la réverbération écrasera tout le paysage, tant pis pour les images…

 

 

Retraversant la vallée, je rejoins le bon chemin et termine l’ascension, toujours au pas de course, entre zones rocheuses glacées et étendues neigeuses. Manque de pot, c’est un faux col, mais j’aperçois les drapeaux marquant le changement de vallée. Quelques minutes de marche le long d’une falaise et j’y suis enfin ! La vallée occidentale que je découvre est un peu décevante, dépourvue de neige et sans le moindre sommet mémorable… on deviendrait presque exigeant dans ce genre d’endroit. Me retournant sur le chemin parcouru, je replonge dans les rêveries du Gokyo Ri, la neige en plus, l’Everest et le Lhotse, comme seuls au monde parfaitement dans l’axe de ma vision. D’ici le lac et le village de Gokyo ne sont que de petites tâches dans cette immensité monochrome.

Malheureusement le vent souffle fort ce matin et la contemplation est glaciale… pas aidé par les bruits récurrents qui détonnent ici. Le chemin emprunté au cours des dernières minutes est le cadre de fréquentes chutes de pierres depuis la falaise attenante. Seul, avec une bonne heure d’avance sur les autres marcheurs, ce n’est pas un idéal de sérénité et je reprends ma marche vers le village pour retrouver Laura.

 

 

Au cours de la montée, l’un de mes bâtons de marche s’est fortement tordu. Pas la première fois, mais je commence à craindre le pire pour la descente et pour la première fois au Népal, je range mon appareil photo sous la veste. Une fois passée la zone rocheuse, je me lance dans une course en lacets sur les pentes neigeuses ! Caractère d’enfant quand tu nous tiens… Petite discussion avec un guide, auparavant croisé au cours de la montée. Après s’être moqué de l’état de mon bâton, il me conseille d’explorer le sud du vallon. Clope au bec (gentiment offerte par le guide, encore un signe de mon excellent entraînement physique), je lui montre mes traces du matin. Il rigole, et me conseille de devenir porteur. Avec un peu de recul, je ne suis toujours pas convaincu par cette reconversion.

Reprenant ma descente, ce qui me pendait au nez arriva. Enfonçant mon bâton gauche dans la neige pour décrire un énième  lacet, ô primordial planter de bâton, celui-ci vole en éclats quand il rentre au contact de la glace. Bien déséquilibré, je me prends une belle taule, l’épaule gauche frappant la couche solide de glace, le bras droit nu allant gentiment caresser un rocher. Mais l’appareil photo n’a rien. Victoire !

Les muscles chauds, je ne sens pas mon épaule (contrairement aux 48 heures suivantes), et je reprends avec une prudence toute relative la fin de la zone neigeuse, puis avale les autres sections en vitesse. Nous avions convenu avec Laura que je serai de retour maximum 6 heures plus tard (3 heures de montée, une heure sur place, 2 heures de descente), je la rejoins 3h15 après mon départ… Je crois que j’avais presque oublié ce que ça fait de faire du sport de la sorte ! Nouveau 5000, nouvelle célébration avec notre cher rhum népalais !

 

Alexis B.

4 thoughts on “Gokyo TV Show

  1. En lisant ce récit, je souris en me rappelant nos premières randos au cours desquelles, plus petit par l’âge, tu t’appliquais à suivre Julien et Émile sur les sentiers en Vanoise et dans le Queyras en te “dopant” goulûment avec des barres de Granny et Ballisto ou , qu’un peu plus grand, avec Jorris, tu “avalais” le dénivelé pour monter au Plan de l’Aiguille ou au glacier de Tre la Tête.
    Quelle apothéose que cette dernière rando – course à très haute altitude.
    Un solo à un rythme plus que soutenu à une telle altitude avec neige et glace, arête et chute de pierre 👍🏼 … Tout y est ou presque … il ne manque que la progression en s’aidant des mains 😛
    Ce n’était sans doute qu’à moitié prudent en solo vu ton équipement plus que limité mais je comprends bien que tu n’aies pas pu résister à “aller voir de l’autre côté du col” 😀 ( ils étaient encordés sur les passages en glace les touristes que tu as croisés ce jour là ?

    1. Ah les balistos, je les avais oublié ceux là (les verts hein, les jaunes sont tout sauf tip top…). Honnêtement, peu de zones vraiment pentues, hormis sur la première partie (encore du chemin de terre), mais bon c’est trop tentant de dévaler ça à fond, tu dois bien le savoir !!

  2. Ce qu’il y a de ” bien” avec les touristes asiatiques, c’est qu’ils sont prévisibles.
    Que ce soit à la Sagrada ou au Gokyo, seul se prendre en photo semble les intéresser …. mais, heureusement, ils étaient moins nombreux au Gokyo 😜

    1. Papa, il faut changer de registre, on n’est plus au XXème siècle avec les touristiques asiatiques devant le chateau de Blois… aujourd’hui le selfie est la norme, et tout les paysages sont quasi systématiquement pris à bout de bras avec la tête dans le cadre. Y être, l’avoir fait est aujourd’hui bien plus important que ce que l’on voit réellement.
      La proportion de touriste faisant le camp de base de l’everest dépourvue de vue, par rapport au panorama du Gokyo est bien révélateur de cette tendance. A notre plus grand bonheur 🙂

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