L’âme de l’Ama Dablam

Après notre sixième nuit, nous quittons Gokyo. Nous ne referons pas le chemin en sens inverse puisqu’une nouvelle possibilité s’offre à nous. Un nouveau sentier à été tracé à travers l’immense moraine. Nous allons donc la traverser pour gagner l’autre côté de la vallée.

 

 

Exceptionnellement, le temps est gris ce matin, nous partons donc sans regrets, des images incroyables plein la tête. La moraine se déroule rapidement devant nous, et il faut descendre un minuscule sentier accidenté pour l’atteindre. Au loin, des rochers dévalent cette falaise, rendant notre descente peu rassurante. Et voici le couloir de la moraine à nos pieds, le paysage couleur de lune est sacrément chaotique.

 

 

Comme si la fin du monde venait de sonner et que les hommes avaient disparu de la surface de la terre avant notre arrivée sur les lieux. Aurions-nous raté quelque chose ? Tout est gris, le chemin poussiéreux, des immenses dunes de roches glacées et couvertes de poussière laissent place aux nombreux cailloux éparpillés disséminés aléatoirement. Dans les trous que forment les dunes se trouvent des piscines naturelles venus recueillir l’eau du glacier. Couleur laiteuse sur fond gris souris.

 

 

Comme c’est sidérant de marcher au milieu de ce chaos ! Je souligne le talent des népalais pour avoir tracé un chemin au milieu de ce champs de cailloux et de glace. Chemin qu’il faut régulièrement retracer car par définition, la moraine bouge sans cesse.

 

 

Il nous faudra deux heures pour traverser ce chaos. Arrivés sur l’autre versant, la végétation reprend ses droits et nous offre un joli décor digne des vastes plaines nordiques, avec des valons couverts d’herbe rase, quelques petites touffes et des rochers qui parsèment cette surface lisse. Les yaks croisent notre chemin et broutent les pâturages. Moins aride, le paysage commence à nous offrir plus de variétés dans la végétation… pas de doute, nous perdons de l’altitude !

 

 

Nous croisons ce qui nous semble être des villages abandonnés, ou seulement habités le temps d’y faire paître le bétail pendant les beaux jours, et nous prenons notre pause repas après 4h de marche. La journée sera longue car nous prévoyons d’atteindre Phortse, environ 3h supplémentaires. Si le chemin est plutôt agréable et facilement praticable, la pluie rend le parcours un peu plus pénible. Nous pressons le pas pour en finir au plus vite. Mais lorsque nous arrivons enfin à Phortse, vers 16h, l’entrée du village se fait désirer. De cul-de-sac en cul-de-sac, nous n’arrivons pas à atteindre le centre du village. Un énorme yak sur le chemin nous force à poursuivre le tour du village jusqu’à finalement trouver l’entrée de ce labyrinthe.

Un lodge nous ouvre les bras et nous posons rapidement nos affaires trempées avant de s’assoir devant une bière bien méritée, 9h de marche plus tard (pause comprise). Après avoir perdu 1000 mètres d’altitude, nous ressentons une certaine douceur dans le climat malgré le mauvais temps, mais surtout, une énergie complètement démesurée au regard d’une si longue journée de marche !
L’alcool ayant coulé un peu trop à flot ce soir-là, le lendemain matin sera donc vaseux. La journée prévue est courte, heureusement. Mais la pluie et une bonne montée nous attend pour introduire cette agréable journée. L’effort physique sous la pluie à l’avantage de décrasser, peut-être un peu sèchement, mais surement ! La bonne humeur est au rendez-vous et on rigole de cet état quelque peu chaotique. Après 3h de marche, nous atteignons notre destination, Pengboche (3 985m). Un couple de français dormira dans le même lodge que nous. 10 ans auparavant, ayant effectué un grand voyage, passant par quelques étapes similaires au nôtres, nous échangerons quelques anecdotes et autres conseils toute la soirée, autour du traditionnel poêle central qui réchauffe nos corps et fait sécher nos chaussures.


5 Mai : Ama Dablam Base Camp

Aujourd’hui, nous allons voir l’Ama Dablam au plus près. Au camp de base. Mythique montagne dont la forme pyramidale avec des épaules évoque son nom traditionnel (Collier de la mère). Sa situation légèrement isolée de la chaîne himalayenne en fait une montagne visuellement impressionnante. Ci-dessous, vue de dos :

 

 

Avant de l’atteindre, nous devons grimper au milieu d’un troupeau de yaks. Une jeune australienne poursuit le chemin en notre compagnie, et tous trois marchons à pas de loup, bouche cousue, respiration lente à l’approche de ces bêtes, magnifiques mais ô combien terrifiantes ! La taille de leurs cornes suffirait à nous empaler sans aucune difficulté. Et si la taille des sommets m’a déjà plusieurs fois ramené à ma petite condition, j’éprouve ici le même sentiment. Force est de constater que les fameux yaks ne sont pas agressifs et broutent l’herbe tranquillement. Notre présence passe presque inaperçue, ouf !

 

 

Après 2h30 de marche, nous atteignons la petite cuvette où se love notre lodge. Le seul dans le coin, nous avions exceptionnellement demandé à notre précédent hôte de nous réserver une chambre ici pour être sûr de pouvoir y dormir. L’endroit est absolument charmant, assurément ce lodge a un emplacement de choix ! Il accueille en grande partie tous ceux qui vont faire l’ascension jusqu’au sommet, pour un thé, une douche chaude, ou une nuit. En général, ils repartent dormir dans leur tente au camp de base ( environ un quart d’heure de marche depuis le lodge). Nous serons donc les seuls à venir ici simplement pour admirer les lieux, sans aucune compétence d’alpinisme.

 

 

Cela fait 4 semaines que nous trekkons. Ce matin, nous partons aux aurores grimper la colline juste en face du lodge pour nous permettre de voir l’Ama Dablam de plus près, et aux premières lueurs du jour. Le soleil étant juste derrière le sommet, la montagne sera donc plutôt en contre-jour, mais qu’importe, nous patientons sur cette herbe encore gelée et nous admirons, ébahis, les chaudes couleurs du soleil levant qui parent les sommets d’une sublime teinte dorée. La vue 360° est magnifique, d’immenses montagnes entre terres arides et sommets enneigés nous comblent de joie.

 

 

Le temps est superbe, nous décidons de rester 3 nuits dans ce petit paradis glacial. A la tombée du jour, les yaks rentrent au bercail et passent calmement devant les fenêtres de notre lodge. Si le décor est incroyable (le coup de cœur est similaire à Gokyo), nos hôtes, deux jeunes filles adolescentes, sont plutôt antipathiques. A leur regard, j’ai bien l’impression d’être détestable. Et les prix sont exorbitants. Évidemment sans aucune concurrence alentours, il est facile d’afficher des tarifs sidérant et trouver néanmoins clients.

 

 

Nous profiterons d’un bon saut d’eau chaude pour une douche nécessaire après 6 jours à baigner dans notre jus. Et nous garderons un maximum de cette eau chaude pour faire une grande lessive. Après avoir gardé nos sous-pantalons nuits et jours pendant deux semaines, la couleur de l’eau au troisième lavage n’était pas beaucoup plus propre que l’eau du Gange ! Nous avons également étendu nos draps sac et nos sac de couchage au grand air, ce qui leur a fait un bien fou. Assurément, nous sommes propres comme des sous neufs aujourd’hui, un grand luxe à portée de main et d’huile de coude.

Nous discutons avec un alpiniste, qui se prépare pour l’ascension de l’Ama Dablam. Il nous conseille un randonnée d’environ 5h dans les alentours, que nous ferons le lendemain. Introuvable sur le guide, ce chemin est une perle secrète.

 

 

Après s’être perdu dans les pierriers, rendant la marche d’autant plus éprouvante, nous grimpons jusqu’a environ 5400 mètres d’altitude jusqu’à un fabuleux cirque de glace. En face de nous, des immenses montagnes recouvertes de neige, et des glaciers. C’est sublime. Un des plus beaux spectacles de notre vie. La proximité avec les sommets (pas plus de 3km de notre position) est impressionnante. Et une fois encore, nous sommes seuls. Nous n’aurons croisé aucun marcheur durant cette randonnée, et mon dieu quelle expérience ! A part faire de l’alpinisme, que pourrions-nous voir de plus beau que ce point de vue si proche des plus hauts sommets du monde ?

 

 

Ce fut une des journées les plus difficiles de notre trek, à marcher 5 à 6h entre 4800 et 5400 mètres d’altitude, le souffle nous manque ! Ce lieu m’a vraiment touché, peut-être même plus que Gokyo car j’étais au plus près de ce que je désirais tant voir. La réalisation de mon rêve aura touché son apogée.

 

 

Nous guêtrons chaque après-midi le soleil, regardant le passage des nuages dont les directions pouvaient être multiples au même instant, avec une rapidité inégalée, rendant tout d’un coup possible un ciel bleu pur pendant 2 minutes, avant de se couvrir de nouveau intégralement. A peine caché, le soleil nous dispense de sa douce chaleur rendant l’air glacial en un rien de temps.

Ces trois jours seront pour nous un moment merveilleux, à toucher du doigt ce qu’il y a de plus beau, sans personne ou presque, avec pour seuls compagnons les imposants yaks, le bruit du vent, le calme et la pureté de la haute montagne. Le bonheur au grand air !

4 thoughts on “L’âme de l’Ama Dablam

  1. Superbes photos et super récit, j’ai envie de dire comme toujours !!!
    Quel final pour ces semaines de trek et, qui plus est, inattendu ce qui renforce l’enthousiasme …
    Le virus de la montagne est en vous, vous n’êtes pas prêt de vous en débarrasser 😉😀

    1. C’est clair, les volcans indonésiens n’ont qu’à bien se tenir… à partir du moment où cela tiendra dans notre budget. Et en malaisie c’est tout sauf évident, les treks dans la jungle s’approchent plus de la grille tarifaire des guides de chamonix, on croise les doigts que ça sera plus facile par la suite.

  2. Beaucoup d’émotion dans cet ultime paragraphe sur votre expédition himalayenne !
    Un (gros) brin de nostalgie en abandonnant cet univers qui vous aura pourtant fait tant souffrir …
    Mission accomplie, objectif(s) atteint(s), il ne restera bientôt plus que l’essentiel, la mémoire des moments magiques dont vous avez tant rêvés avant de partir et qui font désormais partie de votre histoire.
    Et … à cause du soin que vous avez pris, l’un comme l’autre avec vos mots et vos photos, à partager pas à pas … de sentiers escarpés à moraine titanesque, de cirques panoramiques à lodges rudimentaires, de lacs turquoise à pics immaculés, de sherpas sympas à gros yacks pacifiques …
    nous regrettons de ne pas y être allé plus tôt !

    1. En effet, nous avons quitté le Népal avec un petit pincement au cœur, comme l’impression d’avoir vu le summum de l’incroyable, même si j’ignore tout de ce qu’il nous reste à découvrir ailleurs 🙂

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